Des médias et des Hommes politiques font la
promotion d’un nouveau médicament des laboratoires AstraZeneca (représentant
en France : Sanofi
Pasteur) : BEYFORTUS® (nirsévimab) (I).
Cette campagne publicitaire appelle la présente
réflexion et alerte qui puise ses éléments dans des documents publiés par les autorités
sanitaires elles-mêmes (II).
Selon l’autorisation de mise sur le marché (AMM)
européenne, ce médicament « est
indiqué dans la prévention des infections des voies respiratoires inférieures
dues au virus respiratoire syncytial (VRS) chez les nouveau-nés et les
nourrissons au cours de leur première saison de circulation du VRS ».
I.
« Une
campagne historique contre la bronchiolite » faisant la promotion de BEYFORTUS® (nirsévimab)
Par exemple, le 30 août 2023, le journal Ouest-France publie un article intitulé « « Une campagne historique contre la bronchiolite » » (cliquer ici). Dans
cet article, le journaliste interroge une professeure de médecine, présidente
de la société française de pédiatrie. Cet article soutient notamment que ce
nouveau médicament « sera
proposé à tous les enfants qui vont vivre leur première période épidémique ».
Dans un post (anciennement tweet) publié sur le
réseau social X (anciennement Twitter) en date du 6 septembre 2023, le ministre
de la santé et de la prévention, Monsieur Aurélien ROUSSEAU cite un autre post
publié le même jour par le centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes ;
en soutenant ceci :
« Plus les jours passent plus une
conviction s’impose : pour faire baisser la pression sur tout le système
de santé en ville comme à l’hôpital, le levier de la prévention sera déterminant.
Démonstration à très court terme avec le traitement d’immunisation contre la
bronchiolite. »
Ce post du CHU de Nantes est également cité le même
jour sur ce même réseau X (Twitter) par Madame Agnes FIRMIN LE BODO, ministre
déléguée chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, en
ces termes :
« Parce que la prévention est un enjeu
majeur de Santé publique, la mise à disposition de #Beyfortus est une très bonne nouvelle. En effet, il permet de diminuer
les formes graves de bronchiolite chez les nourrissons et donc d’éviter des
hospitalisations. Protégeons nos enfants ! »
N.B. :
Ledit post du CHU de Nantes indique : « Le traitement #Beyfortus est déjà disponible
et permet de limiter les formes graves de la #bronchiolite
pour les nouveau-nés (0-1 mois) et les nourrissons (2 à 6 mois), exposés à leur
première saison épidémique ». Il est
adressé en copie à : la société française de pédiatrie, la haute autorité
de santé, Sanofi en France, AstraZeneca France, Société française de
néonatalogie, l’EU Medicines Agency. Il joint une photo du « PR Christelle GRAS-LE GUEN (Pédiatre
et cheffe du pôle femme mère enfant au CHU de Nantes) » avec la citation ʺUne campagne historique contre la bronchioliteʺ.
Eu égard à cette campagne médiatique qui semble occulter
des éléments essentiels concernant le rapport bénéfice/risque de ce nouveau
médicament, il y a lieu de porter, de façon urgente, à la connaissance
du public et des professionnels de santé le constat effectué par les autorités
sanitaires elles-mêmes.
II. Des données essentielles publiées par les autorités
elles-mêmes mais occultées par cette campagne promotionnelle
A. Constat de la commission de la transparence de la
haute autorité de santé (HAS)
Dans l’avis en date du 19 juillet 2023 (mise en
ligne le 1er août 2023), la commission de la transparence de la haute
autorité de santé (HAS) rappelle d’une part que « la bronchiolite aiguë du nourrisson de moins de 12 mois est
une pathologie fréquente qui n’impose que rarement l’hospitalisation » ;
Et d’autre part, la HAS constate notamment « l’absence de données permettant d’étayer
un éventuel impact de
BEYFORTUS (nirsévimab) en termes de réduction de la durée d’hospitalisation,
de transfert en unité de soins intensifs ou en réanimation, et de
mortalité ».
La HAS relève également plusieurs autres faits dont
ceux qui suivent.
Chez les nouveau-nés et les nourrissons avec
ou sans facteurs de risque qui ne sont pas éligibles à un autre
traitement disponible depuis 1999 (SYNAGIS® : palivizumab), l’amélioration
du service médical rendu (ASMR) apportée par ce nouveau médicament (BEYFORTUS® :
nirsévimab) est mineure (ASMR niveau IV sur V). La population
cible est estimée à 725 000 chaque année. Pour ces enfants, la HAS
constate des « incertitudes » (« résultats
hétérogènes (significatifs ou non) »)
concernant « un impact attendu
sur la réduction relative du risque des hospitalisations ». Toujours pour ces enfants, la HAS relève un
profil de tolérance de BEYFORTUS® « marqués
par des EI [événements indésirables] majoritairement de grade 1 (légers) ou 2
(modérés) de type infections des voies respiratoires supérieures,
rhinopharyngites, pyrexies ou gastroentérites, et des EI d’intérêt particulier
tels que des éruptions cutanées rapportés ».
Et pour la prévention des infections des voies
respiratoires inférieures graves, nécessitant une hospitalisation
chez les nouveau-nés et les nourrissons à risque élevé d’infection à VRS
et éligibles à l’autre médicament (SYNAGIS® : palivizumab), ce nouveau
médicament (BEYFORTUS® : nirsévimab) n’apporte aucune amélioration
du service médical rendu (ASMR niveau V sur V). La population cible est
estimée à seulement 6 000 chaque année.
N.B. : Un médicament qui
apporte un vrai progrès thérapeutique par rapport aux traitements déjà existants
se voit attribuer une ASMR de niveau I (et non pas de niveau IV ou V).
Cette absence d’amélioration
du service médical rendu (ASMR V) pour prévenir ces formes graves est justifiée par
notamment : « l’absence de démonstration d’une
supériorité ou d’une infériorité » de BEYFORTUS® par rapport au SYNAGIS® ; des « données cliniques
limitées » concernant « le profil de sécurité et de
pharmacocinétique [devenir du médicament dans le corps humain] » chez les « nourrissons
à haut risque (prématurés ou ayant une maladie pulmonaire chronique ou une
cardiopathie congénitale hémodynamiquement significative) ». Pour ces enfants, la
HAS constate que « le profil de tolérance du nirsévimab [BEYFORTUS®] semble comparable
à celui du palivizumab [SYNAGIS®] ». Mais, elle relève :
« une incidence
plus élevée dans le groupe nirsévimab (n=614) que dans le groupe palivizumab
(n=304) en termes d’événements indésirables graves (bronchiolites
(…), bronchites (…), pneumonies (…), bronchiolites dues au VRS (…), infections
virales des voies respiratoires supérieures (…), de décès (…) des EI d’intérêts
particuliers rapportés uniquement dans le groupe nirsévimab (thrombocytopénie
induite par l’héparine, (…) throbocytopénie (…) éruption maculopapuleuse), ainsi
que des EI de type hypersensibilité, incluant l’anaphylaxie (…). »
Cette absence d’amélioration
du service médical rendu (ASMR V) pour prévenir ces formes graves est également justifiée
par « la sélection de variants résistants » que peuvent faire
craindre son utilisation en monothérapie et sa longue demi-vie ; cette même
demi-vie qui rend son utilisation plus simple (dose unique).
N.B. : Plus la demi-vie
d’un médicament est longue, plus l’organisme mettra du temps à éliminer ce
médicament.
Cette absence d’amélioration
du service médical rendu (ASMR V) pour prévenir ces formes graves est aussi justifiée par
ladite « l’absence de
données permettant d’étayer un éventuel impact de BEYFORTUS (nirsévimab) en
termes de réduction de la durée d’hospitalisation, de transfert en unité de
soins intensifs ou en réanimation, et de mortalité ».
B. Contenu de l’autorisation de mise sur le marché
(AMM) octroyée par les autorités sanitaires
L’AMM européenne de BEYFORTUS® (nirsévimab) indique
les éléments, non exhaustifs, suivants.
Selon cette AMM, le nirsévimab est un anticorps
monoclonal humain de type immunoglobuline G1 kappa produit dans des cellules d’ovaires
de hamster chinois par la technologie de l’ADN recombinant.
Il se présente sous forme de solutions injectables
(voie intramusculaire).
Il n’y a pas de données disponibles sur la sécurité
et l’efficacité d’une administration répétée.
La posologie chez les nourrissons dont le poids est
compris entre 1,0 kg et 1,6 kg est basée sur une extrapolation, aucune donnée
clinique n’est disponible.
L’administration du
traitement chez les nourrissons de moins de 1 kg est susceptible d’entrainer
une exposition plus élevée que chez les nourrissons pesant plus de 1 kg.
Les données disponibles
sont limitées chez les enfants extrêmement prématurés âgés de moins de 8
semaines (âge gestationnel < 29 semaines). Il n’y a pas de données cliniques
disponibles chez les nourrissons dont l’âge post-menstruel (âge gestationnel à
la naissance + âge chronologique) est inférieur à 32 semaines.
La sécurité et l’efficacité
du nirsévimab chez les enfants âgés de 2 à 18 ans n’ont pas été établies. Aucune
donnée n’est disponible.
Les essais ont exclu
les nourrissons présentant des antécédents de maladie pulmonaire
chronique/dysplasie bronchopulmonaire ou de cardiopathie congéniale (à l’exception
des nourrissons présentant une cardiopathie congénitale non compliquée).
En outre, des données
complémentaires sont demandées par la HAS : « résultats de l’analyse
finale de l’étude pragmatique HARMONIE portant sur le suivi à 12 mois des
enfants inclus (résultats attendus pour février 2024) dans un délai maximum d’un
an ». La HAS prévoit de réévaluer ce médicament « à la lumière
de ces données et de toutes nouvelles données disponibles dans un délai maximal
d’un an à compter de la date de cet avis » (avis du 19 juillet 2023).
La HAS précise
également qu’elle est « favorable à la mise en place dès la prochaine
saison épidémique au VRS (hiver 2023/2024) d’une documentation des échecs
liés au BEYFORTUS (nirsévimab) (…) ainsi qu’une surveillance virologique des
VRS circulants en France (détection de nouvelles souches virales résistantes) ».
N.B. : Pour la revue
Prescrire (septembre 2023), les effets indésirables à court terme
de BEYFORTUS® (nirsévimab) seraient proches de ceux du SYNAGIS® (palivizumab) :
« Le nirsévimab ayant le même mécanisme d’action que celui du
palivizumab, il est prévisible qu’il ait un profil d’effets indésirables en
partie commun avec celui du palivizumab. Le palivizumab expose surtout à des :
réactions d’hypersensibilité dont dyspnées, cyanoses, insuffisances
respiratoires aiguës, éruptions cutanées, urticaires, rares réactions anaphylactiques
parfois mortelles ; réactions locales (dont rougeurs, oedèmes, hématomes) ;
fièvres ; convulsions ; thrombopénies. Des asthmes et des troubles
psychiques tels qu’agitations et agressivités ont aussi été rapportés ».
Conclusion
Comme pour tout acte
de soins notamment médicamenteux, il appartient donc à chaque personne, et en particulier aux parents dans ce cas, de bien s’informer afin que son
éventuel consentement puisse être libre et éclairé.
Cet article est
rédigé par le Docteur Amine UMLIL (Pharmacien – Juriste (Droit de la santé), sans aucun lien-conflit d’intérêts.