Monsieur Emmanuel
MACRON,
Président de la
République Française,
Cher
Président,
« Je vous ai
compris. » (Le Général Charles De Gaulle ; Charles le Catholique)
À
tort ou à raison, et sous toutes réserves,
Je
ne pense pas me tromper beaucoup en disant que la quasi-totalité des français
est plus qu’éprouvée par tous ces conflits, et c’est peu dire, qui puisent
leurs racines dans la question religieuse. En effet, après les païens, les
chrétiens, les juifs… cette question semble, désormais, concerner les musulmans
notamment. Pour la majorité des français, ce problème est subsidiaire.
Pourtant, depuis plusieurs années, certains Hommes (femmes et hommes)
politiques et certains médias nous imposent ce thème de façon chronique et
prioritaire.
L’inqualifiable
vient, à nouveau, de se produire sur le sol français. Aucun argument, aucun
mot, ne peut le qualifier ou le justifier.
Profitant
de ce drame, et de façon sournoise, certains tentent de diviser notre pays de
l’intérieur. De l’extérieur, certains vous attaquent personnellement en vous
reprochant de « persécuter »
les musulmans vivant en France ; d’autres, en revanche, semblent
appeler à la raison.
Relevons
que le sort réservé, en ce moment même, à d’autres musulmans vivant sur
d’autres territoires du monde ne semblent déclencher aucune réaction efficace
en leur faveur. Mais, nous savons qu’un État n’a ni amis, ni ennemis ; il
n’a que des intérêts.
Sur
la question musulmane, méfiez-vous de ceux qui vous disent ce que certains
groupes politiques français voudraient entendre.
Je
fais partie de ces citoyens français, d’en bas, ordinaires, qu’un ancien
Président de la République Française avait qualifiés de citoyens « à l’apparence arabo-musulmane ».
Après
chaque acte, inqualifiable, de nature criminelle ou délictuelle, commis au nom
de l’« Islam », même par un
Étranger, ces citoyens « à
l’apparence arabo-musulmane » seraient présumés « solidaires » de cet acte. Ils sont alors invités, avec
insistance, à s’en « désolidariser »,
publiquement. Se désolidariser de quelque chose dont ils n’ont jamais été
solidaires et dont ils ignoraient même le projet. Au moins deux liens sont
donc, systématiquement, établis pour leur compte par des tiers : le premier
avec ledit acte criminel ou délictuel ; le deuxième avec la religion
musulmane. Certains vont même jusqu’à considérer un citoyen avec une « tête d’arabe » comme étant
naturellement « musulman ».
Ces citoyens sont, mécaniquement, mis en position de justification ; alors
même qu’ils n’aspirent qu’à vivre tranquillement en se fondant dans la masse :
ils veulent juste être « français »
et vivre en paix. Ni plus, ni moins. Après chacun de ces actes, ces citoyens
sont donc secoués à deux reprises, au moins. Ils sont présumés complices du
simple fait de leur silence pendant les nombreux deuils que notre pays a connu
ces dernières années. Pis encore, la remise en cause du principe de la double
nationalité émerge dans le débat alors même que notre Code civil prévoit déjà
une telle déchéance dans des conditions bien précises. De l’agitation
malveillante donc. Ce qui fait dire à ces citoyens qu’ils ne sont, finalement,
que des « demi-français et à titre
temporaire » ; que leur appartenance à la nation est fragile et
éphémère. Des éternels Étrangers, en somme. Une telle approche, une telle
stigmatisation, ne semble pas s’appliquer à nos autres concitoyens relevant
d’une « autre apparence
physique » et des autres religions.
Une
autre secousse jaillit lorsque, dans les médias, certains s’estiment autorisés
à parler en mon nom alors qu’ils n’ont reçu aucun mandat en ce sens ; et
surtout quand ces médias offrent la primauté à des soi-disant représentants
qui, pourtant, éprouvent de grandes difficultés à s’exprimer dans la langue
française. Mais, les très bons clients de ces médias sont surtout celles et
ceux qui ont la même « apparence
arabo-musulmane » que moi, et qui ne cessent de dénigrer leurs propres
racines ; sans doute pour plaire.
Des
représentants qui ne représentent qu’eux-mêmes.
Par
la force des choses, par l’exceptionnelle gravité et l’extrême urgence de la
situation que connaît actuellement notre pays, je suis contraint de sortir de
mon silence.
J’ai
donc l’honneur de vous écrire cette lettre ouverte. Je ne vous promets pas
d’être bref car le raisonnement proposé est d’ordre analytique ; par
nature incompatible avec la synthèse. Mais, je serai concis en allant à ce qui
me paraît être l’essentiel. Ces quelques lignes ne poursuivent qu’un seul
but : vous soumettre quelques idées, non exhaustives, qui pourraient vous aider à unir tous
les français et à garder des relations internationales cordiales avec les pays
arabo-musulmans. C’est un raisonnement parmi d’autres. Un simple avis non
conforme (qui ne vous lie pas). Une analyse d’un citoyen français « à l’apparence arabo-musulmane »,
avec un « bac. + 15 (au
moins) ». Un citoyen qui connaît, en profondeur, aussi bien la
tradition française que la culture arabo-musulmane que certains tentent, avec
insistance mais en vain, d’opposer.
À
titre liminaire, je me dois de vous préciser que je n’ai aucun lien ni aucun
conflit d’intérêts. Je n’appartiens à aucune organisation quelconque de nature
syndicale, associative, etc. Par principe, je ne participe à aucune
manifestation et ne signe aucune pétition. Je ne m’engage que sur ce qui émane
de mes propres recherches et de mon raisonnement personnel. Je m’exprime donc
en toute indépendance en faisant appel à mon parcours et à mon expérience
vécue. Mon avis ne prétend donc à aucune généralisation. Il ne présume, en
rien, de mon appartenance, ou de mon non-appartenance, vraie ou supposée à
telle ou telle religion ; de ma croyance ou de mon absence de croyance :
je ne dévoile jamais la réponse à cette question et la réserve, de façon
exclusive, à ma seule sphère intime.
En
effet, à titre personnel, bien que n’étant pas un spécialiste du domaine
religieux, je pense que la foi, ou l’absence de foi, devrait relever non
seulement de la sphère privée mais également de la croyance intime et propre à
chaque individu. Par exemple, pourquoi l’époux devrait-il imposer sa religion à
son épouse, et inversement ? Ne serait-il pas préférable et judicieux de
respecter les enfants en leur laissant la possibilité et l’opportunité de
choisir, ou non, librement leur(s) religion(s) ? La croyance, ou l’absence
de croyance, serait-elle un héritage qu’on pourrait léguer, de force, à autrui
dès sa naissance et, sans le consentement libre et éclairé de
l’intéressé ?
Mais,
mon avis personnel n’est pas nécessairement partagé par tout le monde. Et
heureusement.
Le
respect commence par notamment un regard vers le paysage de l’autre ; et
par l’expression d’un parler vrai.
Actuellement,
le cœur du conflit semble se cristalliser autour des « caricatures de Mohammed », le Prophète des musulmans. Au
fond, la question qui est soulevée est la suivante : peut-t-on rire, se
moquer, de tout et avec tout le monde, publiquement ?
Le
26 octobre 2020, le journal Le Parisien
publie un article sous le titre : « Le
Maroc condamne à son tour la publication des caricatures de Mahomet dans
l’Hexagone ». Ce titre révèle bien le raisonnement actuellement
déployé sur notre territoire national. Il me semble que cette vision des choses
est entachée d’une erreur d’appréciation de la portée desdites caricatures. En
effet, contrairement à ce qui est soutenu dans ce libellé, lesdites caricatures
ne sont plus publiées uniquement dans « l’Hexagone » :
leur diffusion ne se limite plus à une partie du territoire national. Depuis
l’avènement d’Internet notamment, leur portée est internationale. Ces caricatures
atteignent tous les territoires du monde (dont l’autre partie du territoire
national) et notamment « plus de
deux milliards » de musulmans comme le relève ce même article du Parisien. Cette question ne peut donc
être traitée en ignorant le reste du monde ; et en négligeant les
conditions de vie en sécurité que nos compatriotes français, vivant à
l’Étranger et notamment dans les pays musulmans, sont en droit d’attendre.
Le
Maroc, pays ami de la France, ne peut être accusé d’une quelconque complaisance
avec les pratiques déviantes par rapport à l’Islam. Le Roi du Maroc est le
siège d’une double autorité : temporelle (politique) et spirituelle (religieuse,
musulmane). L’école publique marocaine confie l’enseignement de la religion
musulmane à des professeurs qualifiés en la matière. Cette même école dispense
aussi, et avant tout, l’enseignement des autres matières qui permettent
l’émancipation et la sécularisation. Deux langues maternelles y sont
enseignées dès le plus jeune âge : l’arabe et le français (l’anglais
commence plus tard). Relevons que de nombreuses années sont nécessaires à la
maîtrise parfaite de la langue arabe ; et que seule cette maîtrise rend la
lecture du Coran, le livre sacré des
musulmans, directement accessible : l’individu instruit n’a plus besoin
d’un intermédiaire pour comprendre les principes fondamentaux de l’Islam. Cet
enseignement met en lumière plusieurs points. C’est ainsi que, pour être
musulman, la première des exigences consiste à reconnaître, et à respecter, les
autres religions. Qu’il existe un gradient du niveau de croyances : le « mouslim » est celui qui
reconnaît l’existence de Dieu et du Prophète en prononçant une seule
phrase ; le « moumin »,
lui, est un mouslim qui s’engage dans
la pratique religieuse en s’acquittant des devoirs requis, prescrits. Et souvent, de
nombreux citoyens marocains font le choix de s'acquitter de leur prière dans
l’intimité de leur foyer notamment, sans aller nécessairement et systématiquement à la
Mosquée. Citons un autre exemple : le Coran
encourage les croyants à emprunter aussi la voie qui mène vers l’acquisition
du savoir tel que celui des sciences, des mathématiques, etc. ; et leur accorde
une place très honorable dans la hiérarchie des croyants. Ce qui est fidèle à
la civilisation arabo-musulmane, si souvent dévoyée. La longévité du Coran s’explique notamment par sa
souplesse qui permet son interprétation en fonction du lieu et du temps. Il
autorise la contextualisation de ses principes fondamentaux. Ce qui conduit à
la naissance de différents courants de pensée qu’il conviendrait de respecter,
sans arrogance. La tradition marocaine consacre le respect des plus âgés, même
lorsqu’ils ont tort. Elle dit aussi que la reconnaissance doit s’exprimer, sans
faille et de façon éternelle, envers toute personne qui vous transmet un savoir :
vos parents, vos professeurs, vos maîtres des arts martiaux, vos entraîneurs de
football, etc. Je pourrais continuer à vous dérouler tous les enseignements
tirés du Coran pour répondre à tous
les préjugés qui accablent l’Islam, mais là n’est pas notre sujet actuel. Et
puis, après tout, « il est plus
facile de briser un atome qu’un préjugé » (Albert Einstein). Retenons
simplement que l’Islam exige un comportement exemplaire et respectueux de soi
et d’autrui : une rectitude du corps et de l’esprit.
En
cela, la position du Maroc vis-à-vis des caricatures litigieuses devrait donc
nous interpeller. Car la France et le Maroc ont aussi une histoire commune
particulière ; leurs peuples respectifs sont liés : ils s’aiment et
continueront de s’aimer malgré les tempêtes. C’est comme je t’aime, moi non
plus.
Je
fais partie aussi de ces « immigrés »,
devenus pleinement français, que certains ne voudraient plus accueillir. Je vis
en France depuis maintenant plus d’une trentaine d’années. J’ai pu accéder aux
meilleures universités françaises (Facultés de Pharmacie, puis de Droit). « Tiens-toi droit, et la France
t’offrira la réussite que tu mérites » est le seul conseil que mes
parents m’avaient donné à l’aube de mon départ vers la France. Leur conseil
s’est avéré juste. Et je ne me suis pas forcé à le suivre. Je me sentais
naturellement français, autant que marocain, avant même de venir en France.
Pour autant, je n’oublie pas d’où je viens et refuse de renier mes origines ;
d’ailleurs, la France ne m’a jamais formulé une telle demande de façon
expresse. Avancer en oubliant de regarder dans le rétroviseur pourrait s’avérer
dangereux.
En
France, c’est à l’université que je me suis senti réellement et pleinement
français. Mon travail y était récompensé à sa juste dimension, à sa juste
valeur. Mes droits y étaient totalement respectés. Mon intégration, voire mon
assimilation, a été possible par la combinaison de deux éléments
essentiels : les études universitaires qui se sont bien mariées avec la
pratique régulière de la première de mes passions, le football.
N.B. (à titre
infiniment accessoire) : Mais, dans le milieu professionnel (dans un hôpital
public français), je dois avouer que l’affaire est d’une toute autre nature…
Après un début de carrière et une ascension sans écueil, un changement de
direction de l’hôpital est venu, brutalement, précipiter ma chute. En voulant
continuer à corriger les dysfonctionnements qui mettent en danger la vie des
patients, je me suis vu reprocher, par écrit, mon respect, non négociable, de
la Loi de la République Française en ces termes (et ce n’est qu’un
exemple) : « En clair, Monsieur
UMLIL (…) esquive ainsi ses responsabilités derrière un recours permanent et
paralysant aux textes officiels et aux recommandations »… Ne pouvant
m’accuser d’extrémiste religieux, mes détracteurs (quelques individus
détenteurs du pouvoir local) me voyaient comme un intégriste de la loi
Républicaine. L’incompréhension. La mauvaise surprise. Le choc. La communauté
médicale est venue à mon soutien : « La
commission médicale d’établissement réunie en formation restreinte demande à
Monsieur le Directeur de mettre tout en œuvre pour permettre à Monsieur Amine
UMLIL d’exercer sa fonction de pharmacien au sein du centre hospitalier de (…),
dans le respect de la réglementation en vigueur, des règles de métier de sa
profession et des connaissances acquises de celle-ci. » Extraordinaire
motion. Cela ne devrait-il pas être la règle dans un établissement public de
santé ? Devrais-je négocier l’évidence même de mon métier ? « Conflit avec la hiérarchie et
l’institution portant sur des valeurs éthiques », relève le médecin
inspecteur régional du travail. Ce dernier poursuit : « (…) Du côté travail, alors même qu’il est certain que son
caractère rigoureux, les valeurs d’honnêteté et de droiture sur lesquelles
Monsieur UMLIL est construit, l’ont amené à se trouver en décalage au niveau
des exigences dans le travail par rapport à l’institution et le chef de service
(…) ». J’ai résisté en actionnant les leviers de la République, dont
certains se sont avérés décevants et lâches, et fini malgré tout par trouver ma
résilience en atteignant ma pleine dimension (au sein de ce même hôpital). Ma
carrière, elle, a été ralentie et déviée de sa trajectoire. Je me suis senti
bien seul dans ma traversée du « désert ».
Mais, avec le temps, je me dis que cette expérience douloureuse faisait partie
de mon destin. Luchar es mi destino. Une
nouvelle épreuve qui m’a permis de découvrir que j’étais capable de
m’adapter ; qui a révélé l’étendue de mes autres capacités jusqu’alors
insoupçonnées.
En
quelque sorte, je suis toujours à la quête de nouvelles connaissances, dans
différents domaines. Un éternel étudiant. Peut-être aussi parce que les
universités et leurs bibliothèques sont sans doute des lieux qui me procurent
un moment de répit dans ce monde de brutes. Vous pouvez donc mesurer, Monsieur
le Président, l’intensité de la douleur que j’ai dû ressentir lorsque j’ai
appris ce qui s’est produit en ce mois d’octobre 2020 dans un Temple, un
sanctuaire, du savoir. Je ressens cette même tristesse lorsque j’apprends la
perte de toute vie humaine, ici ou ailleurs.
Mais,
en responsabilité, surtout celle que le peuple français vous a confiée, la
légitime émotion et la réaction à chaud conduisent rarement à la prise d’une
décision efficace et à la mise en place d’une solution corrective, et surtout
préventive, juste et pérenne. L’analyse exhaustive et sereine des causes d’un
problème doit précéder toute décision. Établir l’arbre de ces causes ne
revient, en rien, à justifier ledit acte de nature criminelle ou délictuelle.
S’extraire du conflit est un exercice difficile. Pourtant, c’est cette prise de
distance, de recul, de hauteur, qui pourrait nous offrir la meilleure visibilité
de l’équation à résoudre ; la meilleure chance qui permet d’atteindre
notre objectif commun fixé : vivre en paix, ensemble.
« Ne laissons
pas des tragédies sanitaires ou terroristes gouverner nos émotions, et
capituler notre raison face aux libertés sans lesquelles il ne peut exister de
démocratie. » (Face aux menaces sur les libertés publiques, les juristes
doivent prendre parti » ; Victor AUDUBERT, 23 octobre 2020, DALLOZ)
Nous
devons donc, tous, et surtout vous Monsieur le Président et comme le prévoit la
Constitution, nous hisser au-dessus de la mêlée avant d’amorcer notre analyse
pragmatique, rationnelle, objective de la situation actuelle. Une telle analyse
nécessite du temps et la convocation des compétences disponibles. Mais, dans
l’immédiat, nous ne disposons pas de ce temps nécessaire et utile. Alors, pour
l’instant, je ne peux vous proposer qu’une solution d’urgence.
Que
constate-t-on donc aujourd’hui ?
D’un
côté, dans la tradition musulmane, la représentation physique du Prophète est
strictement interdite. Dans les films qui retracent la vie du Prophète, ce
dernier n’est jamais visible : il est souvent représenté par un faisceau
de lumières. Je vous disais aussi que la reconnaissance de ce Prophète
constitue la porte d’entrée dans la religion musulmane. C’est l’un des piliers
fondateurs de l’Islam qui fédère autour de lui l’ensemble des musulmans de
cette planète. C’est un puissant liant. Je serais même tenté de dire qu’aux
yeux de certains musulmans, la vie de l’un des leurs serait moins importante
que l’atteinte portée à ce symbole de l’Islam.
De
l’autre côté, les auteurs des caricatures, objet de la confrontation, se
fondent sur le droit au blasphème qui est autorisé en France dans le cadre de
la liberté d’expression, une liberté fondamentale. Ces dessins ne se contentent
pas seulement de caricaturer et de moquer les pratiques déviantes par rapport à
l’Islam. Elles ciblent également le Prophète, lui-même, en le représentant
avec, par exemple, une « bombe sur
la tête », « nu »…
Elles touchent ce qu’il y a de plus sacré aux yeux des musulmans.
Concernant
ces pratiques déviantes par rapport à l’Islam, dans son entretien avec Noël
BOUTTIER, Hamou BOUAKKAZ, français d’origine algérienne, attribue à Cat STEVENS
ceci : « Si j’avais connu les
musulmans avant de connaître l’islam, je ne me serais jamais converti »
(Livre intitulé « Aveugle, Arabe et
homme politique, ça vous étonne ? » ; chapitre IV « La droite n’aime pas les Arabes, la
gauche n’aime pas les musulmans » ; année 2011).
Les
caricatures ne ciblent donc pas uniquement les pratiques déviantes imputables à
certains individus. Pour les musulmans, ces dessins sont doublement
offensants : d’une part, le Prophète est représenté ; et, en plus,
dans des positions qu’ils estiment choquantes et inacceptables. C’est ce que le
journal Le Parisien a relevé dans la
position du Maroc : « La
liberté d’expression ne saurait, sous aucun motif, justifier la provocation
insultante et l’offense injurieuse de la religion musulmane qui compte plus de
deux milliards de fidèles dans le monde » ; tout en condamnant « toutes les violences obscurantistes
et barbares prétendument perpétrées au nom de l’Islam, le Royaume du Maroc
s’élève contre ces provocations injurieuses des sacralités de la religion
musulmane ».
La
position du Maroc est forte, sincère, fidèle et respectueuse. Elle est
bienveillante et de bonne foi.
Nous
sommes donc face à deux libertés qui s’opposent d’une part ; et face à
deux angles de vue (approches, raisonnements, logiciels…) différents d’autres
part.
Ces
deux libertés recèlent un piège conceptuel redoutable lié notamment à l’absence
de définitions précises, et partagées par tous, de ces deux notions. Comment
distinguer ce qui relève de la religion et de la secte ? Comment définir, de
façon claire et intelligible, ce qui est permis, ou non, par la liberté
d’expression ?
À
dire vrai, la tension observée est la résultante de plusieurs facteurs. Elle n’est
pas la conséquence des seules caricatures. Elle est provoquée également par un
contexte malsain, étouffant, devenu presque permanent notamment en France. Ce
contexte permet, avec une aisance déconcertante, la diffusion de la haine aussi
bien sur certaines chaines d’informations que sur les réseaux sociaux. Parmi
les diffuseurs de cette haine figurent des Hommes politiques, des journalistes,
des commentateurs… les mêmes qui ne cessent de dévoyer, publiquement, le
principe de la laïcité en déformant ses fondements élémentaires qui sont
pourtant enseignés dans les facultés de droit françaises. Cette haine surgit en
particulier à l’occasion des échéances électorales. De façon répétée. Cyclique.
La confusion linguistique alimente encore davantage ce climat délétère. Par
exemple, l’emploi inapproprié du mot « islamiste »
jette le trouble dans les esprits en établissant un lien, sémantique et
psychologique, entre « Islam »
et comportements déviants. En pareilles circonstances, même les citoyens, comme
moi, deviennent une variable d’ajustement électoral. C’est d’ailleurs l’une des
raisons qui m’a contraint à ne plus participer à aucun vote, à quelque niveau
que ce soit, depuis bien longtemps.
Cette
haine s’ajoute à un autre fait : la fragilisation de l’ordre, conséquence
de l’atteinte portée à l’autorité (parentale, éducative, policière, étatique…).
Il
y a juste quelques jours, dans un communiqué, les auteurs de ces caricatures,
eux-mêmes, ont dénoncé la récupération nauséabonde de ces dessins par certains
groupes politiques français.
J’ai
pu relever que dès que ces médias ne trouvent plus rien à dire, ils remettent à
l’ordre du jour la question inhérente à l’Islam en la confondant avec
d’autres thèmes tels que l’insécurité, l’immigration… ; mais sans convier les
principaux intéressés : les musulmans qui accepteraient de dévoiler leur
appartenance religieuse et qui ont une dimension universitaire dans de nombreux
domaines (théologie, médecine, pharmacie, droit, grandes écoles…). Tout est
fait pour maintenir, dans l’opinion, l’idée que les musulmans seraient
incapables de réussir dans des horizons autres que le sport (football, arts
martiaux, boxe…) ou la sécurité à l’entrée des lieux publics par exemple, de
s’exprimer parfaitement dans la langue française, de s’intégrer, voire de
s’assimiler, au sein de la communauté nationale. Pourtant, ce sont ces
musulmans qui pourraient contribuer à résoudre l’équation visant à concilier
des variables, des valeurs, en apparence contradictoires.
Je
dois aussi dire qu’à mon sens, les citoyens français de confession musulmane
seraient aussi et d’abord victimes de leur inertie. De leur acceptation de la
fatalité. De leur résignation. De leur propre organisation désordonnée. Ils
souffriraient de l’absence d’une autorité véritable qui pourrait sérieusement
les représenter. La désignation de cette autorité ne saurait être ni
descendante ni téléguidée. Cette autorité devrait pouvoir bénéficier d’une
indépendance intellectuelle, politique, religieuse, financière et morale. Cela
appelle une institutionnalisation de la discipline et l’instauration de
véritables structures d’études théologiques. Il en va de la renaissance des
valeurs de la civilisation arabo-musulmane, parfaitement compatible avec les
valeurs françaises.
Ce
n’est donc pas vous, Monsieur le Président, qui « persécutez » les musulmans ; mais, la question se
pose à propos des politiques éditoriales de ces médias français notamment. Certains
seraient même choqués de voir des rayons halal
(pour les musulmans) et casher
(pour les juifs) dans les magasins… Ceux qui vous accusent auraient la mémoire
courte : ils auraient déjà oublié votre récente déclaration, en Algérie, dans
laquelle vous avez affirmé, de façon inédite, que « la colonisation est un crime contre l’Humanité ».
Revenons
à la liberté d’expression, qui n’est que le corollaire de la liberté
fondamentale de pensée.
Deux
hommes médiatisés ont été condamnés, par les juges français, pour incitation à
la haine. L’un a disparu des écrans ; mais l’autre continue de sévir
quotidiennement. Comment expliquer donc cette différence de traitement ?
Une hypothèse : le second cible l’Islam ; et cela serait-il permis ?
En
France, caricaturer le pilier de la religion musulmane est possible. Mais,
caricaturer une ministre ou une députée déclenche l’indignation
quasi-unanime ?
La
liberté d’expression serait-elle totale, absolue, pour certains ; et
restreinte, relative, pour d’autres ?
Charlie-Hebdo
peut tout dire ; mais pas Valeurs Actuelles ?
Des
groupes identitaires de l’extrême droite sont autorisés ; mais on voudrait
dissoudre des associations, qui prétendent défendre les musulmans, en les
qualifiant « d’islamo-gauchistes »
? Certains accusent même ces associations de mener un « Djihad judiciaire » ; autrement dit, ils leur
reprochent d’actionner un levier légal : l’accès au droit et au juge. Ils
les accablent de vouloir jouer à la victimisation. La manipulation de l’opinion
peut être observée. Là encore, la méconnaissance de la langue arabe prive le
lecteur du sens originel du mot « Djihad »
qui signifie la lutte, le combat… Ce mot semble systématiquement associé à
l’horreur alors que son sens premier vise le combat au sens noble du terme :
les combats menés pour faire des études, chercher un travail, nourrir sa
famille, se défendre de façon légale et légitime en saisissant les juridictions
compétentes, etc. Par ailleurs, dissoudre un groupement reviendrait à perdre la visibilité de ses membres.
Suite
au drame survenu, une Mosquée a été fermée à cause d’un message litigieux qui
aurait été relayé par un membre de ce lieu de culte. Cette fermeture punit
l’ensemble des pratiquants. Ferme-t-on également d’autres lieux de culte lorsque
des actes criminels ou délictuels y sont commis ? A-t-on résolu le
problème de fond par cette fermeture administrative ?
D’un
côté, on fait la promotion d’une liberté de pensée absolue ;
parallèlement, on veut limiter « certains
courants de pensée ».
La
religion musulmane n’ignore pas l’existence de l’intégrisme. Par exemple, un homme qui consacre sa vie entièrement à telle ou
telle religion en se privant d’une vie familiale « normale » (se
marier, faire des enfants, etc.) est considéré comme une forme d’intégrisme.
Mais, posons la question suivante : cette homme n’aurait-il pas le droit
de disposer de sa vie comme il l’entend à condition qu’il n’impose pas son mode
de vie à autrui ? S’il ne fait de mal à personne ? En quoi une
pratique religieuse stricte serait dangereuse pour autrui ? Qui serait
réellement dangereux : celui qui est à fond dans sa religion et qui la
connaît bien ; ou celui qui croit connaître sa religion alors qu’il vient
à peine d’y rentrer ? Ledit gradient du niveau de croyances évoqué au
début de la présente réflexion et allant d’une absence de pratique jusqu’à
l’intégrisme en passant par le fondamentalisme. La question essentielle est
donc celle de la légalité au sens de notre droit enseigné dans les facultés, et
non pas celui entendu sur tel ou tel plateau de télévision.
Récemment,
j’ai entendu certains affirmer que des discours peuvent « armer idéologiquement » ceux qui commettent des crimes
ou des délits au nom de l’Islam. Justement, ceux qui connaissent bien leur religion
ne peuvent être influencés par des tiers. Mais, si vous validez un tel
raisonnement, ce dernier pourrait, à l’avenir, être opposé également à tous
ceux qui « arment
idéologiquement » les auteurs qui commettraient des crimes ou des délits,
cette fois, contre les chrétiens, contre les juifs, contre les musulmans,
contre les arabes, contre les noirs, contre tous les autres…
Bref,
on ne comprend plus rien à ce deux poids, deux mesures. À cette rupture
d’égalité observée lorsqu’il s’agit de ladite liberté d’expression.
À
titre personnel, je considère la liberté d’expression comme un droit
inaliénable et inconditionnel. Je lutterais pour que mon adversaire puisse tout
me dire, y compris de ce qu’il y a de plus détestable. Il m’appartiendrait
ensuite de lui répondre par le verbe et la plume, ou tout simplement de
l’ignorer. Sans violence verbale, et encore moins physique. Car celle-ci
pourrait être interprétée comme la matérialisation, le reflet, d’un manque
d’arguments. À l’inverse, je renonce spontanément à ce droit que je reconnais à
l’autre. Je ne m’autorise pas à actionner ce droit dans le seul but de nuire à
autrui, de le provoquer sans cause fondée, de le tourner publiquement en
dérision de façon déraisonnable et irresponsable ; et encore moins sous
anonymat. La question fondamentale que je me pose est : quel est le
bénéfice escompté que je cherche par l’usage de cette liberté d’expression ? Ma
liberté, à moi, s’arrête là où commence celle de mon voisin. Pourquoi attaquer,
gratuitement, les valeurs profondes de mon voisin ? Ma liberté est un
curseur que je tente de placer à sa juste position. J’essaie d’en faire un bon
usage. De ne pas en abuser. Dans le corps humain, lorsqu’une cellule refuse
d’arrêter sa croissance au contact du périmètre - du domaine - des autres
cellules, elle provoque une tumeur voire un cancer.
Mais,
encore une fois, ma conception de cette liberté ne peut être imposée à autrui.
Elle ne saurait constituer une preuve recevable à l’appui de la solution que je
souhaite vous apporter.
En
France, en cas de conflit, les rapports entre les individus sont régis par le droit.
Il est, en effet, constant que le droit au blasphème est autorisé en France,
notamment par les juges (jurisprudence). Mais, il est aussi constant qu’une
liberté, aussi fondamentale soit-elle, peut être limitée par notamment un « risque de trouble à l’ordre
public ». Et, je suis très surpris de n’avoir jamais vu personne
soulever un tel moyen. Ce trouble n’est pas nécessairement causé par l’exercice
de ladite liberté ; il peut être caractérisé par la réaction, même illégale, à
la manifestation de cette liberté. C’est ainsi qu’un risque de trouble à
l’ordre public peut être pressenti à l’occasion d’une manifestation dans la
rue, pourtant régulière et déclarée ; et sans que ce trouble ne soit
imputé aux personnes qui souhaitent manifester pacifiquement : le trouble
peut venir d’ailleurs. Dans ce cas, cette manifestation se voit finalement interdite,
du moins encadrée, par une mesure préventive de police administrative (un
arrêté du Préfet).
Il
est donc possible de porter atteinte à une liberté fondamentale en la limitant.
Un
autre exemple peut être rappelé. Il y a quelques années, le spectacle d’un
humoriste était programmé dans une ville en France. Mais, certains de nos
concitoyens, de confession juive, contestaient la tenue de ce spectacle et
envisageaient de manifester ; car ils étaient heurtés par certains
contenus. Ce simple projet de manifestation a conduit à l’interdiction de ce
spectacle par un arrêté préfectoral au motif dudit risque de trouble à l’ordre
public.
D’ailleurs,
actuellement, vous n’hésitez pas à restreindre plusieurs libertés fondamentales
(personnelle, d’aller et venir, d’entreprendre…) du fait de la Covid-19 afin de
protéger la santé, la vie, des français ; nous dit-on. Vous prenez ces
décisions difficiles en vous basant notamment sur des modélisations
informatiques, sur des projections, sur des hypothèses. Vous limitez ces
libertés en prenant des mesures qui ne sont, en réalité, qu’un pari censé
neutraliser un agent biologique imprévisible. Tout comme la morale publique, la
sécurité et la santé publiques sont, en effet, d’autres impératifs pouvant
conduire à la limitation des libertés.
En
l’espèce, lesdites caricatures litigieuses ont déclenché des réactions d’une
exceptionnelle violence. Celle-ci nous a propulsés vers un autre univers. Les
auteurs de ces caricatures avaient d’abord reçu des menaces de mort, avant de
perdre la vie dans des conditions là encore inqualifiables. D’autres victimes
ont été enregistrées. La liste de ces victimes vient de s’allonger encore. Et d’autres
menaces semblent surgir, à nouveau, en mettant nos vies en danger et en
compromettant les intérêts diplomatiques et économiques de notre pays. Nous ne
sommes plus uniquement dans ledit « risque »
de trouble à l’ordre public », mais dans le trouble lui-même ; et
le mot est faible.
Or,
l’adversaire est invisible. Son attaque est imprévisible. Il nous est
impossible d’assurer, avec certitude, la sécurité de chacun de nos concitoyens.
Malgré
l’extrême gravité de cette situation, ledit argument juridique de « risque de trouble à l’ordre
public » ne semble toujours pas effleurer l’esprit de personne. Pourtant,
dès l’enregistrement des menaces contre les auteurs de ces caricatures, celles-ci
auraient dû être retirées. Un tel retrait aurait, peut-être, permis de préserver
de nombreuses vies humaines.
Je
ne suis pas doté d’un don qui me permettrait de deviner ce qui se passe dans
telle ou telle tête d’une personne qui passe à l’acte. Mais, je pense que ces
personnes seraient convaincues de la légitimité de leur action qu’ils
exécuteraient de bonne foi contre ce qu’ils considèreraient comme un ennemi qui
les agresse par ces caricatures. Ils accueilleraient ces dessins comme une
déclaration de guerre. Ils ne se considéreraient pas comme des criminels ou des
délinquants au sens de notre ordre juridique. Il y a lieu de relever que
d’autres ordres juridiques, eux, considèreraient le blasphème comme un acte
criminel qui serait puni par la peine capitale (peine de mort). Nous vivons sur
la même planète mais dans deux mondes différents qui semblent évoluer selon
deux droites parallèles (qui ne peuvent se croiser) ; mais qu’une
attraction (type aimant-métal provoquée par ce type de caricatures) temporaire
nous propulse vers un autre univers.
Parce
que chaque français semble être devenu une cible aussi bien sur notre propre
territoire national qu’à l’Étranger, le sens de la responsabilité commande au
retrait, en urgence, de ces caricatures afin d’arrêter cette escalade et cet
engrenage. Pour séparer l’aimant et le métal. Et cette décision ne présume, en
rien, de l’illégalité de ces dessins selon notre droit actuel. Et ne consacre
nullement la victoire de la violence ou de la menace. Bien au contraire. C’est
une preuve de courage. C’est un signe de sagesse. Seuls les grands sont
capables d’une telle décision.
Je
n’aime pas la guerre. Les victimes se trouvent rarement parmi les personnes qui
décident d’engager leurs peuples, et sans leur consentement, dans cette spirale
infernale. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui nous disent « N’ayons pas peur ». Car, la
peur est un sentiment humain, animal, végétal… un stress légitime et utile face
à un danger que ressent tout être vivant. « N’ayons
pas peur » ? Les familles des victimes, elles, sont terrifiées,
anéanties, meurtries… à jamais… à cause de ce conflit généré par ces
caricatures. Par des dessins.
Dans
les arts martiaux, la première leçon que nous dispensons aux débutants (dont
les enfants) est la suivante : en cas d’agression, la première des
défenses est de prendre la fuite ; de tout essayer pour éviter la
bagarre ; de ne chercher à riposter qu’en cas d’absolue nécessité ;
et que le cas échéant, cette riposte doit être une défense proportionnée et ne
doit chercher qu’à préserver notre intégrité physique et notre vie et non pas à
massacrer son agresseur. Le Budoka,
le guerrier au sens noble du terme, cherche uniquement à neutraliser son
agresseur.
Ce
sens de la responsabilité aurait dû aussi conduire à éviter une nouvelle publication
de ces caricatures. Car nous sommes dans une crise sanitaire, qui est selon
vous, sans précédent. Une situation qui, à elle seule, est en train de mettre
notre pays à genoux. Et que vous n’aviez vraiment pas besoin de gérer, en plus,
ce supplément de malheur qui vient de s’abattre sur la France.
Les
auteurs de ces caricatures, qui viennent de dénoncer récemment la récupération
malveillante de ces dessins par certains partis politiques français, devraient
aller jusqu’au bout de leur raisonnement : retirer spontanément ces
dessins. Ils gagneraient à le faire. Vraiment.
De
même, j’estime que l’étude de ces caricatures relèverait plutôt du niveau
universitaire. Un débat entre personnes majeures. D’ailleurs, figurez-vous que
l’examen que j’étais amené à passer en troisième année de licence de droit,
dans le cadre relatif aux régimes des libertés et droits fondamentaux, nous
proposait de commenter l’une desdites caricatures. Pour les élèves plus jeunes,
je pense qu’il serait prudent de leur enseigner les libertés en commençant d’abord,
et avant tout, par les règles de droit et en évitant de les soumettre à des
supports aussi sensibles, aussi conflictuels, aussi mortels. D’autant plus que
l’enfant mineur est en pleine construction psychique notamment ; et qu’il
est pris entre d’une part sa famille et d’autre part son professeur.
Notre
fierté, notre principe, notre ego devrait-il nous amener à mourir pour un
dessin ? Ma réponse est : non ! Une réponse contraire nous
conduirait à adopter le même raisonnement et la même attitude que vous
reprochez à la partie adverse : quelle différence entre mourir pour un principe
religieux et mourir pour le principe de la liberté d’expression ?
En
France, un autre motif pourrait être convoqué : celui de la théorie de « l’abus de droit ». Bien que
nous soyons titulaires de droits subjectifs, l’exercice de ces droits doit se
faire sans excès, sans abus. Et cela est valable pour tous et dans tous les
domaines. Et, il y a lieu de ne pas mépriser non plus le droit naturel des gens
ainsi que la morale.
Récemment,
à l’unanimité, la cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a estimé que la
condamnation pénale, par les juridictions autrichiennes, d’une conférencière
(qui avait été invitée par un parti d’extrême droite) pour « dénigrement de doctrine religieuse » ne violait pas son
droit à la liberté d’expression. Car ses déclarations, ciblant le Prophète de
l’Islam, avaient littéralement outrepassé les limites admissibles d’un débat
objectif et que ces déclarations représentaient une véritable menace pour la
préservation de la « paix
religieuse » dans la société autrichienne (CEDH 25 oct. 2018, E.S. c/ Autriche, n°38450/12). Mais, du fait de
l’absence de consensus européen en matière de protection des convictions ou
croyances religieuses, la CEDH attribue aux États une large marge
d’appréciation. La jurisprudence européenne valorise « le droit au respect des sentiments religieux ».
Il
y a la lettre de la loi. Mais, il y a
aussi l’esprit de la loi.
Le
même article du journal Le Parisien relève :
« Le Royaume du Maroc, à l’instar
des autres pays arabes et musulmans, appelle à cesser d’attiser le ressentiment
et à faire preuve de discernement et de respect de l’altérité, comme prérequis
du vivre-ensemble et du dialogue serein et salutaire des religions ».
Je
pense que cette invitation devrait susciter votre attention.
Dès
cet instant, nous pouvons déjà répondre à la question initialement posée :
Non, manifestement, les interactions sociales ne nous autorisent pas, plus, à
rire, à se moquer, de tout et avec tout le monde. Surtout publiquement.
En
ce qui concerne les solutions à plus long terme qui requièrent un temps
d’analyse plus conséquent, il y a lieu de s’interroger notamment sur l’effectivité
des principes inscrits sur les frontons de nos institutions : ceux qui
sont notamment gravés dans notre loi fondamentale (la Constitution). Un
imminent juriste français a pu affirmer que la France serait plutôt un pays de « Déclaration » des droits de
l’Homme ; plus qu’un pays des droits de l’Homme. En l’espèce, concernant
la question musulmane, les musulmans pensent qu’ils ont les mêmes droits que
leurs concitoyens de confessions chrétienne et juive notamment. Mais, dans la
pratique, dans les discours tenus par des responsables politiques notamment, il
est régulièrement affirmé que la France est un pays de « tradition chrétienne » voire « judéo-chrétienne ». Personne ne peut contester le fait
que la France est une terre à dominance chrétienne, surtout catholique ;
mais avec, toutefois, d’autres composantes comme le judaïsme. Mais, l’Islam
aussi fait partie de ces composantes. Le législateur a même opéré une véritable
mutation de la laïcité, par la loi n°2004-228 du 15 mars 2004, en imposant la
neutralité non plus au service public mais à ses usagers, en l’espèce les
élèves de l’enseignement primaire et secondaire. Ces élèves ne peuvent plus
porter de signes religieux par lesquels ils manifestent « ostensiblement » une appartenance religieuse. Cette
transformation s’est poursuivie par la loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010 qui
interdit le port de la burqa dans
l’espace public. Un professeur de droit écrit dans l’un de ses ouvrages : « Fort heureusement, le Conseil d’État
a mis un coup d’arrêt provisoire à cette altération du principe en refusant de
valider en son nom les arrêtés municipaux d’interdiction du burkini sur les
plages (CE, ord., 26 août 2016, LDH et a.) ». Nous savons tous que ce
sont les musulmans qui sont visés par cette législation nouvelle, même si les
lois concernées ne peuvent s’aventurer à les cibler expressément et
spécifiquement au risque d’encourir la censure du Conseil constitutionnel.
Certains appellent même à inscrire la laïcité dans la Constitution ; mais
ils n’ont pas dû la lire…
Le
hiatus réside donc dans ce décalage entre ce qui est consacré par la norme
supérieure (ce qui est affiché dans la Constitution) et ce qui est réellement
permis aux musulmans de faire dans la vraie vie. Le problème devient encore
plus sérieux lorsque l’on constate que le Parlement n’est pas vraiment
représentatif de tous les citoyens. Et certains Hommes politiques français
s’agitent à la moindre évocation de la constitution d’un nouveau parti
politique dont le chef aurait ladite « apparence
arabo-musulmane ».
Même
lorsque les musulmans sont dans leur bon droit, ils se voient constamment
attaqués sur leur nourriture, leur façon de s’habiller… à l’école, pour faire
du sport… Souvenons-nous de ce qu’a dû subir Décathlon lorsque ce magasin de sport avait récemment proposé une
tenue de course adaptée au souhait de certaines femmes musulmanes de pratiquer
du sport avec ce qu’elles estiment être conforme à leur foi ; voire tout
simplement à leur conception de la pudeur. Quelle différence entre la tenue
d’un plongeur et celle du burkini par
exemple ? La réaction était d’une telle violence morale que ce magasin
s’est trouvé contraint de retirer la tenue proposée. La loi de la République
permet pourtant à tout citoyen de rendre visible son appartenance religieuse
dans l’espace public.
Je
pense que, de manière générale, nos concitoyens français de confession
musulmane font preuve d’un salutaire sang-froid eu égard aux différentes herses
qui les visent régulièrement.
Extraordinaire
ce qui se passe autour du corps de la femme dans les médias : certains
veulent le couvrir entièrement ; d’autres veulent le dénuder totalement.
Sans même songer à demander à la femme ce qu’elle veut, elle.
Et
l’argument selon lequel la religion musulmane conduirait à une rupture
d’égalité entre l’homme et la femme est un pur fantasme élaboré par celui qui
ignore cette religion et ses codes. Et, il est quand même stupéfiant de voir
ceux qui, en France, cautionnent la différence entre les salaires des hommes et
des femmes (pour un même travail effectué) venir donner des leçons à des
traditions millénaires musulmanes. Citons quelques exemples. Certes, il est
vrai que, dans le cadre de l’héritage par exemple, l’Islam consacre une part
plus élevée pour l’homme par rapport à celle réservée à la femme ; mais ce
que ne disent jamais les détracteurs de l’Islam c’est que cette règle a une
justification rationnelle : les besoins de la femme doivent,
obligatoirement, être pris en charge par le père, puis par le mari ; et
lorsque la femme travaille, et qu’elle perçoit le même salaire que l’homme pour
le même travail réalisé, elle n’est nullement obligée de participer aux charges
communes du foyer (son argent lui appartient et à elle seule ; ni son
père, ni son mari ne peuvent la contraindre à participer aux charges). Nous
apercevons là un partage de richesses basé sur l’équité et non pas sur
l’égalité. Et puis, le Coran dit que
le paradis se trouve sous les pieds des mères (des mamans) : il les place
sur un piédestal. Enfin, au Maroc par exemple, la société est fondamentalement matriarcale
malgré les apparences. La maman est le pilier de la famille ; et le mari
ne prend presque jamais de décision importante sans l’approbation préalable de son
épouse. Voyager au Maroc en restant enfermé dans tel ou tel club de loisirs,
sans aller au contact prolongé avec la population indigène, sans descendre dans
le souterrain, ne permet pas au voyageur de saisir les codes et les parfums de
la vie réelle marocaine.
La
France gagnerait la confiance et l’adhésion de ses concitoyens musulmans
lorsqu’elle se décidera à enseigner à ces musulmans l’Histoire du droit
français, depuis le droit romain. Cet enseignement révélera à ces musulmans
qu’avant eux, les catholiques, les protestants, les juifs… avaient subi ce
genre de législation contraignante. Car l’image qui est actuellement envoyée
aux musulmans s’apparente plutôt à celle décrite par Gérard CORNU : « un groupe d’individus, généralement
fixés à demeure sur le territoire d’un État, qui forme une véritable communauté
caractérisée par ses particularités ethniques, linguistiques et religieuses et
se trouve en état d’infériorité numérique au sein d’une population majoritaire
vis-à-vis de laquelle elle entend préserver son identité ». C’est la
définition des « minorités ».
L’une
des composantes d’un État démocratique réside dans sa capacité à protéger
lesdites « minorités », et
notamment leurs « sentiments ».
Rien ne nous interdit d’innover. Nous pouvons faire en sorte que plus aucun
citoyen français ne se sente appartenir à une « minorité ».
Je
saisis cette occasion pour vous dire que j’ai pu découvrir certaines positions
de l’Observatoire de la laïcité qui semble, lui aussi, remis en question depuis
le dernier drame. Dans ces positions, j’ai reconnu ce qui est enseigné dans les
facultés de droit françaises et ce qui est consacré par la jurisprudence. Je ne
comprends donc pas la remise en cause des dirigeants de cette Observatoire. Avec
cette jurisprudence actuelle, je pourrais, toutefois, exprimer une petite
divergence. En effet, j’estime que toute personne qui participe, même
bénévolement, à une mission de service public devrait respecter le principe de
neutralité tout en bénéficiant, en retour, de la protection qui est accordée
aux agents publics tels que les enseignants. Dans ce cadre, et comme ces enseignants,
tous les parents qui se proposent d’accompagner les enfants lors des sorties
scolaires devraient accepter de se soumettre à cette neutralité. Il suffit de
leur expliquer le principe avec pédagogie et respect ; en évitant de les
humilier et de les brutaliser publiquement et devant leurs enfants. En quelque
sorte, ces parents empruntent la tenue de l’enseignant (sa fonction
d’encadrement, de surveillance) le temps de cette enrichissante et joyeuse
promenade avec les enfants. Je crois même avoir lu une décision d’un tribunal
administratif qui s’orientait dans ce sens ; mais le Conseil d’État, la
haute juridiction administrative, en a décidé autrement.
Je
pourrais encore continuer à dérouler mon raisonnement. Mais, je crois que ces
quelques lignes suffisent pour commencer à apercevoir le nœud de la solution,
cette fois, de fond.
Certaines
voix appellent à la révision de notre rigide Constitution. Je vois là un réel
danger. Mettons-nous dans l’hypothèse qui pourrait, par exemple, amener à
consacrer « la tradition chrétienne,
surtout catholique, de la France » dans la Constitution. Un tel aboutissement
ferait basculer la France vers un autre régime. La France ne pourrait plus dire
qu’elle est « laïque » mais
plutôt « catho-laïque ». De
fait, les autres religions ne seraient plus l’égal de la religion dominante
catholique ; ce qui d’ailleurs traduirait l’ordre réel et actuel des
choses ; ce qui mettrait fin à l’illusion selon laquelle les musulmans,
notamment, pourraient prétendre aux mêmes droits que leurs concitoyens
catholiques. Ce qui permettrait de sortir, enfin, de l’hypocrisie ambiante. Je
vous laisse imaginer la cascade des modifications qui attendrait l’ordre
juridique interne et ses prévisibles conflits avec le droit externe :
régional (européen) et international.
La
frontière entre un régime démocratique et un régime autoritaire est mince. La
distinction se fonde sur le degré des mesures prises ; plus que sur leur
nature.
Une
autre solution pourrait s’acheminer vers le système éducatif : d’une part,
celui de l’école ; d’autre part, celui qui pourrait être mis en œuvre pour
informer et instruire toute nouvelle personne qui voudrait rejoindre la
communauté nationale. Deux matières me semblent plus particulièrement
prioritaires : les cours de français ; et l’histoire du droit
français.
Au
nom de la laïcité, à laquelle je suis profondément attaché, devrait-on priver nos enfants d’un enseignement, ad hoc, d’une culture religieuse au sein
de l’école de la République Française ? Nul ne peut contredire le fait que
la question des religions constitue un véritable thème des sociétés. Un sujet
qui, force est de constater, conditionne les rapports humains. Tous les pays
sont concernés. On dénonce régulièrement le risque de « communautarisme ». Dans le même temps, chaque « communauté » se charge de l’enseignement
d’une religion donnée. Pourquoi n’enseigner qu’une seule religion ?
N’existerait-il pas un continuum entre plusieurs religions ? Quelles sont
leurs valeurs communes ? Quelles sont les différences qui les
distinguent ? Pourquoi se priver d’une étude comparative, neutre et
objective qui permettrait, peut-être, de démontrer que les querelles à ce sujet
ne sont pas justifiées ? La laïcité serait-elle synonyme d’homogénéisation
des religions ? Dans l’école de la République, on enseigne bien la lecture,
l’écriture, l’histoire, la géographie, la connaissance du corps humain, les
langues étrangères, les chiffres arabes et romains, la philosophie, etc.
Pourquoi ne pas y inclure l’enseignement éclairé des religions, des cultures du
monde, selon des modalités à définir ? Nous avons le choix entre la
matière et l’antimatière. Entre la consistance et le vide. Entre les
explications d’un Maître et les interprétations aléatoires et approximatives.
Entre la vérité et les préjugés. Entre la connaissance et l’ignorance. Entre la
lumière et l’obscurantisme. Entre le respect et la haine. Entre la paix et la
guerre. Entre la cohésion et la division. Pourquoi ces frontières ?
Pourquoi ce séparatisme ? L’école de la République participe à la
construction du citoyen de demain. Dans cette école, l’enfant pourrait recevoir
des informations utiles et sincères qui l’aideraient à forger sa propre
opinion. Il pourrait développer son esprit critique. Il pourrait apprendre à « dire non », le cas échéant.
Il pourrait ainsi choisir son propre chemin. Il accèderait ainsi à la plus
haute dimension de la liberté. En se libérant, le cas échéant, du poids, des
chaines des traditions. En faisant évoluer, avec douceur et pacifiquement,
lesdites traditions.
« C’est par la
vérité qu’on apprend à connaître les hommes, et non par les hommes qu’on
connaît la vérité. » (Émir Abdelkader)
Enfin,
en France, avec ou sans leurs signes religieux visibles, les musulmans semblent
être bien accueillis dans notamment les écoles, collèges et lycées catholiques…
La preuve.
Concernant
ces mêmes caricatures, un ancien Président de la République Française a pu
déclarer : « Tout ce qui peut
blesser les convictions d’autrui, en particulier les convictions religieuses,
doit être évité. La liberté d’expression doit s’exercer dans un esprit de
responsabilité. Je condamne toutes les provocations manifestes, susceptibles
d’attiser dangereusement les passions. » (Jacques Chirac, 2006).
Je
pense que le Général Charles De Gaulle, Charles le Catholique, m’aurait compris.
À
tort ou raison, sous toutes réserves, sous réserve de pouvoir parfaire cette réflexion, voilà donc ce que j’aurais pu vous dire,
Monsieur le Président, si j’étais l’un de vos Conseillers.
Mais,
je ne le suis point. Et, le monde politique ne m’attire absolument pas.
Bon
courage en ces moments, pour le moins, éprouvants.
Avec
mon profond respect.
Amine
UMLIL
Citoyen
français
©
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en l’absence d’un accord préalable et écrit de l’auteur.
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