samedi 25 avril 2020

Nouveau Coronavirus. Couvre-feu à Cholet : lettre ouverte à Monsieur Gilles BOURDOULEIX, maire de Cholet


Monsieur Gilles BOURDOULEIX,
Maire de Cholet,



Si l’on croit ce qui est diffusé depuis hier (vendredi 24 avril 2020) par plusieurs médias et réseaux sociaux (dont votre page Facebook et votre compte Twitter), le tribunal administratif de Nantes a, lors d’une procédure en référé-liberté introduite par la ligue des droits de l’Homme (LDH), suspendu l’arrêté qui avait instauré un couvre-feu à Cholet entre 21h et 5h.

Cette décision a déclenché une réaction de votre part. Certains de vos propos, publiquement exprimés, interpellent. J’ai donc l’honneur de vous écrire ces quelques lignes pour vous soumettre une analyse de cette situation et de vos affirmations. À tort ou à raison.

À titre liminaire, puisque vous abordez l’affaire durant laquelle vous aviez été accusé de faire de l’« apologie de crime contre l’humanité », j’aimerais vous rappeler que j’étais l’une des rares personnes à rejeter, publiquement et par écrit, cette qualification juridique, tout en condamnant fermement vos propos tenus. J’avais même répondu à certains de vos opposants politiques qui faisaient état de votre condamnation par les juges du fond alors même qu’un pourvoi en cassation était en cours, et que ladite décision des premiers juges n’était pas encore investie de l’autorité de la chose jugée (n’était pas définitive). Ma réaction ne semblait d’ailleurs pas vous déplaire.

Le respect commence par l’expression d’un parler vrai, et par un regard vers le paysage de l’autre. Et c’est dans ce cadre que je me permets de vous soumettre quelques arguments qui, je l’espère, pourraient vous amener à reconsidérer votre position exprimée suite à ladite décision du juge administratif.

Vous écrivez : « (…) Les décisions d’une collectivité ne sont pas prises par une association politisée, aux convictions totalitaristes, ni par des juges mais par des personnes élues au suffrage universel, engagées pour protéger leurs concitoyens ». Une telle déclaration laisserait entendre que le seul suffrage universel conférerait audites personnes élues un pouvoir absolu. Voudriez-vous voir les arrêtés municipaux échapper à tout contrôle de légalité ?

Vous écrivez : « Je déplore la décision du Tribunal Administratif de Nantes ». Et quelques lignes plus loin, vous nous informez : « J’ai donc décidé de prendre un nouvel arrêté de 22h à 5h ». Vous mettez ainsi au grand jour l’une des arguties juridiques que le droit administratif autorise : un privilège de juridiction réservé à l’Administration française. Un tour de passe-passe, légal, qui permet d’ignorer la décision rendue par le juge. Mais, dans mon esprit, et dans celui de beaucoup de nos concitoyens, l’illégalité entachant votre premier arrêté jaillit, inévitablement, sur votre « nouvel arrêté », fusse-t-il décalé d’une heure (de 22h à 5h).

Vous allez même jusqu’à déclarer : « (…) des magistrats qui sont dans leur petit confort à Nantes (…) ».

Dans le même temps, vous reprochez au Président de la République, Monsieur Emmanuel MACRON, de ne pas respecter la « loi de 1882 de Jules FERRY, qui rend l’école obligatoire ».

Comment donc voudriez-vous voir nos concitoyens respecter vos arrêtés, alors même que vous semblez passer outre la décision du juge ?

Ce constat est d’autant plus inquiétant que ces écrits et déclarations émanent du premier magistrat de la ville, et avocat. Il donne le sentiment qu’à Cholet, une décision de justice ne serait plus de saison.

Or, « il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » (De l’Esprit des lois, MONTESQUIEU, 1748). Et « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » (Article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) du 26 août 1789). C’est justement le degré de cette séparation des pouvoirs qui détermine la nature des régimes : démocratiques ou autoritaires, notamment.

Non, Monsieur le maire : le seul suffrage universel ne nous propulse pas vers l’époque de la monarchie absolue ; et ne transforme pas des citoyens en sujets.

Vous déclarez : « (…) Et quand on voit le délibéré du tribunal administratif, on nous parle de la liberté d’aller et venir qui n’est pas respectée, on nous parle de grands principes qui ne sont pas respectés. Non, il n’y a qu’un principe là-dedans, c’est un maire, une équipe municipale qui ont voulu défendre la santé de leurs concitoyens ». Or, ladite liberté d’aller et venir est une liberté fondamentale garantie par la Constitution qui est hors de la portée d’un maire et de son équipe municipale.

Si vous estimez que cette décision du tribunal administratif est infondée, pourquoi ne pas la contester jusqu’auprès de la plus haute juridiction administrative : auprès du Conseil d’État ?

Et puis, à titre subsidiaire, infiniment accessoire, j’aimerais comprendre le sens de vos autres déclarations qui combinent des mots tels que « les minorités », « les étrangers »… D’abord, vous semblez reprocher à la LDH de défendre « toutes les minorités (…) tous les étrangers (…) », d’être « anti-Français, anti-Nation » et de n’avoir « qu’un objectif : c’est de détruire toutes les valeurs qui sont les nôtres, il faut être très clair (…) ». Ce parallélisme, à peine voilé, entre d’un côté « les minorités », « les étrangers » défendus par la LDH ; et de l’autre côté le caractère  « anti-Français, anti-Nation » et le seul « objectif [visant à] détruire toutes les valeurs qui sont les nôtres » pourrait, de façon consciente ou non, suggérer des idées, pour le moins nauséabondes, chez les faibles d’esprit, chez vos flatteurs.

Et ensuite, vous posez une question qui interroge sur la raison qui aurait conduit la LDH à solliciter « en urgence », et « cette semaine », le contrôle du juge administratif. Vous prétendez connaître cette raison mais vous vous abstenez, pour l’instant, de la dévoiler auprès des choletais : « (…) Je ne crois pas au hasard, je sais pourquoi ça été fait cette semaine et le moment venu je le dirais (…) ». Sommes-nous invités à deviner cette raison ? Sur votre page Facebook, le commentaire suivant a été posté : « Le ramadan, c’est quand déjà ? ». Est-ce la raison que vous insinuez, avec insistance ? Il est vrai que « les musulmans » semblent manquer à ce tableau que vous décrivez.

Quel est le rapport entre ce couvre-feu et ces « minorités », « étrangers »… ?

Sur ce point concernant notamment les « minorités », je ne peux que vous renvoyer à ma lettre ouverte que je vous ai adressée en 2012 suite à vos propos, de même nature, qui ont été relayés dans le journal « l’Express ». Un extrait de ma réaction avait d’ailleurs été publié par le « Courrier de l’Ouest » le 23 janvier 2012 sous le titre : « Courrier des lecteurs. La lettre ouverte au maire d’un pharmacien de l’hôpital ».

Une autre composante d’un État démocratique réside dans sa capacité à protéger lesdites « minorités » que vous semblez bien distinguer des « étrangers ». Ces minorités sont donc bien des Français. Mais, il est, encore, rappelé à ces français qu’ils sont un « groupe d’individus, généralement fixés à demeure sur le territoire d’un État, qui forme une véritable communauté caractérisée par ses particularités ethniques, linguistiques et religieuses et se trouve en état d’infériorité numérique au sein d’une population majoritaire vis-à-vis de laquelle elle entend préserver son identité » (Gérard CORNU). L’emploi de ce terme n’est donc pas anodin, surtout par un élu qui ne « croit pas au  hasard ».

Vous semblez reprocher à la LDH de protéger ces personnes vulnérables en utilisant « nos impôts ». Par contre, et par exemple, vous n’avez pas hésité à demander, et à obtenir, la « protection fonctionnelle » pour couvrir les frais de divers procès dont ceux concernant des litiges en rapport avec certaines de vos déclarations, pour le moins, inappropriées. Mais, c’est votre droit. Puisque cette protection fonctionnelle a même été accordée à Monsieur PAPON. Par contre, cette protection fonctionnelle m’a été refusée dans le cadre du contentieux professionnel qui m’avait opposé notamment à l’ancienne direction du centre hospitalier de Cholet suite à mon alerte adressée au Procureur Général…comme vous le savez ; un hôpital dont vous étiez le président du conseil d’administration, puis du conseil de surveillance (vous l’êtes toujours). En ma qualité de pharmacien des hôpitaux, praticien hospitalier, et surtout en ma qualité de citoyen français, je n’ai vu personne venir me défendre : ni vous, ni la LDH, ni aucun autre parti politique, notamment... Pourtant, mon alerte concernait un domaine qui génère environ 20 000 morts par an, dont la moitié est évitable. Mon aventure à l’intérieur du système m’a montré notamment le vrai visage de la politique et le but poursuivi par le carnaval électoral.

En France, c’est dans cette ville, c’est dans son hôpital public, que j’ai découvert ce qui peut être qualifié de gouvernance totalitaire. Les preuves, vérifiables sur pièces, sont disponibles dans mes anciennes écritures.

Il y a donc lieu de s’interroger sur l’équilibre entre notre sécurité et le respect de nos libertés fondamentales. Cette conciliation ne peut être laissée entre les seules mains d’une personne élue au suffrage universel. L’Histoire montre que ce mode d’élection a pu instaurer le pire des régimes.

Le nouveau Coronavirus (SARS-CoV-2), à l’origine de cette nouvelle maladie (COVID-19) jusqu’alors inconnue, ne saurait devenir un prétexte justifiant une atteinte grave et disproportionnée à nos libertés fondamentales.

La présidente de la région des Pays-de-la Loire, elle, semble demander plutôt un « dé-confinement accéléré » dans notre région.

En votre qualité d’homme de droit, vous devriez donc donner l’exemple en commençant d’abord par respecter la décision du juge ; et en évitant de mettre, à nouveau, à l’index une partie des choletais via des critiques adressées à la LDH. Dans le cas contraire, même les personnes, dotées encore d’un minimum de bon sens et de raison, qui voudraient soutenir vos décisions pourraient prendre leur distance.

Je vous remercie de bien vouloir accepter cette réflexion que je me permets de vous apporter, sans animosité.

En espérant que ces quelques lignes réussiront à vous convaincre, je vous prie de bien vouloir recevoir, Monsieur le maire, l’expression de mes respectueuses salutations.



Bien cordialement,

Amine UMLIL