jeudi 21 février 2013

"Le spectre de l'isotèle" : extrait de mon manuscrit


« Cette nuit, j’ai rêvé du mur. Ce mur auquel j’ai parlé tout au long de l’été dernier. » (Entre Dieu et moi c’est fini, de Katarina Mazetti) Un mur de verre à travers lequel j’ai aperçu de loin mon ami Amine (…)

En réalité, ce mur est sourd et muet. Je n’ai su lui parler qu’avec mon regard. Il n’a pu me répondre qu’en me laissant entrevoir de brèves images en temps réel. Des images tantôt en couleurs, tantôt en noir et blanc. Une étrange distinction qui laisserait supposer que le blanc et le noir ne seraient point des couleurs. Une classification, une standardisation, une mise en relief comme si l’on voulait opposer le white au black.

Ce mur-écran, c’est comme un voyage, sur place, dans le temps et dans l’espace, qui devient possible par un simple regard à travers ce mur-frontière. Ce mur-prison. Impuissant, je me suis contenté d’observer les courtes séquences qui me sont présentées dans le désordre. Des évènements qui se déroulent au pays des Codes Bleu-Marianne. Un paysage situé de l’autre côté de la rive. De l’autre côté de ce mur-miroir. Un film long, et en même temps intense, que j’ai regardé durant l’été dernier, la gorge serrée. Et, cette nuit, dans mon rêve, j’ai revu cette scène qui ne cesse de me hanter.

Au pied de ce mur transparent, je suis en première loge pour contempler cet étonnant spectacle. Je perçois l’isolement d’Amine. Mais, il semble être en compagnie de sa solitude. Amine rumine. Sa souffrance me percute. Elle me rappelle ma propre douleur.

Mais, de l’autre côté du mur, de mon côté, dans mon paysage à moi, c’est l’été. Le soleil est radieux. La chaleur estivale, tant désirée, est au rendez-vous. Je suis loin de mes coordonnées, de mes fréquentations et fréquences habituelles. Je suis en vacances. C’est un moment que j’attendais avec impatience. En pareilles circonstances, la routine s’éloigne. La maltraitance fait une pause. Les blessures tentent de se refermer. La distance aide à l’oubli. A son tour, l’oubli essaye d’atténuer la douleur. Le cœur s’apaise. L’esprit s’éclaircit. La mise au point est parfaite. Les images deviennent nettes. J’oublie ma douleur. J’ignore mon ami. Je dirais même que sa souffrance me rassure. Elle me donne l’illusion que je suis à l’abri.

Je ne peux intervenir pour venir au secours de mon ami. Ce mur paraît infranchissable. Souple et amovible, ce mur peut embrasser presque toutes les formes de courbures. Sa surface est lisse et glissante. Sa taille est disproportionnée. Il est entouré et surveillé par une impressionnante garde rapprochée. Celle-ci est composée de quelques individus. Une dizaine, une vingtaine voire plus. De ma position, il m’est difficile de compter avec précision leur nombre exact. Selon le moment de la journée ou de la nuit, ces gardiens se déguisent en blouses blanches, en col blanc, ou en robes noires. Leur tenue change selon le nycthémère et selon les circonstances. En permanence, continuellement, ce mur analyse les données de l’environnement qui l’entoure. Il semble être doté d’une invraisemblable capacité d’adaptation et de changement. Par exemple, il peut paraître vertical ou horizontal. Il peut devenir oblique ou circulaire. Il peut jouer le rôle d’un plancher, d’un plafond, ou assurer la fonction d’une pyramide. Tout dépend de l’angle de vue duquel on l’observe. L’ensemble demeure invisible du lointain observateur et de l’occasionnel voyageur. Bien qu’il soit sourd et muet, ce mur semble être une barrière sophistiquée et conçue sur mesure. Sa surdité et son mutisme renforcent d’ailleurs son calme, sa sérénité et son efficacité.

Au fond, ai-je vraiment envie d’intervenir pour aider mon ami ? J’ai sans doute peur. Ou, peut-être, que mon inertie ne serait que l’expression de mon profond désir de repos et de tranquillité. Pourquoi sacrifier un moment tant attendu ? Ou, peut-être, que mon indifférence ne serait que la traduction de mon aveuglement démissionnaire, que le témoin de ma réceptivité à la manipulation, que le marqueur de mon esprit corrompu ou de mon sadisme latent. L’amitié est souvent une notion galvaudée. Souvent, l’amitié de façade, la fausse amitié, cède à la véritable trahison. C’est comme « ces amitiés d’enfance qu’on abandonne en même temps que la toge prétexte (Cicéron). » Mais, le zeste de respect que j’ai encore pour mon vieil ami m’oblige à regarder vers son paysage. A minima.

La scène est pour le moins étrange. Elle est tout à la fois claire et confuse. La position d’Amine est très basse. Je suis en haut, bien loin. Il semble noyé dans la poussière de la moquette. Mon piédestal est éclairé par les lumières des lustres. Il est dans un immense souterrain connu pour ses nombreux et sombres labyrinthes, pour son odeur nauséabonde, pour son silence qui saisit tout nouveau visiteur et explorateur, pour ses égouts peuplés de quelques rongeurs et prédateurs. Alors que, moi, je suis sur une terrasse bien ensoleillée et délicieusement parfumée. Bref, une distance notable me sépare de mon ami. Le contraste est saisissant. Comment agir donc pour pouvoir l’approcher ? Amine semble également me percevoir. Enfin, c’est ce que je crois. Il s’agite en me faisant des gestes. Il m’adresse des signes. Il semble perdu. Il tente de me parler. Je ne peux l’entendre. Mais, je suis contraint de l’observer. Je ne peux détourner mon regard. Mes yeux se figent. Ils se fixent sur ce mur-miroir comme s’ils venaient de croiser le regard de Méduse. Ma fréquence respiratoire s’accentue. Mon rythme cardiaque s’accélère. Je transpire. Je suis pétrifié.

Soudainement, le visage de mon ami devient flouté. Je ne vois plus que ses lèvres sur lesquelles je dois lire son message. Une voix intérieure me pousse à le déchiffrer et à le décoder. A distance, il me soumet une équation à l’étrange degré qui se distingue par ses nombreux inconnus. Par ses multiples paramètres d’ajustement qui excellent par leur extraordinaire variabilité. Une simplicité technique dotée d’une particulière complexité humaine. Une singularité. Je finis par voir cette vérité indésirable, inhabituelle, rare. Une vérité qui peut amener chacun de nous à la rencontre d’un monde que l’on croyait juste et équitable mais qui, au final, s’avère cloisonné et stratifié. Une vérité qui, selon Emir Abdelkader, nous « apprend à connaître les Hommes » et non celle que les Hommes voudrait nous faire connaître. Une exception de vérité ! Ou peut-être de citoyenneté.

Mon ami Amine a l’apparence d’un métèque. Il est de la même espèce que les lions de l’Atlas. Ceux qui n’avaient point hésité à rejoindre De Gaulle en même temps que les autres aventuriers et les boiteux. Mon ami est un commis-voyageur. Il roule dans une R4, sa Renault 4, sa « quatrelle » comme il l’appelle. Une voiture dont la boîte de vitesses horizontale lui rappelle un tiroir-caisse. Elle est de couleur jaune. C’est la même voiture que celle du facteur noir que l’on a vue dans « Les visiteurs » ; le film …

(…)

Dans l’isolement d’Amine, je vois ma propre solitude. Elle me parle durant ma « traversée du désert ». Elle ne me quitte plus. Elle me stimule lorsque j’entends la voix de W. Jammes sans cesse me répéter que « l’on ne saurait inventer de châtiment plus infernal, même si pareille chose était matériellement possible, que d’être lâché dans une société et d’y rester complètement inaperçu de tous ses membres. »

(…)

Bien qu’il ne soit pas amnésique, mon ami semble ne plus savoir qui il est, ni d’où il vient. Dorénavant, le miroir de son rétroviseur lui reflète un angle mort. Pour lui et sa famille, le temps paraît suspendu. Mais, il maintient le cap. A tort ou à raison. Il ne sait par quel bout commencer. L’arbitraire sème le trouble dans son existence. Amine essaie de comprendre. Donc, il analyse. Il finit par saisir qu’il n’est, finalement, pas le bienvenu. Il n’est plus le bienvenu. Longtemps réclusionnaire de l’illusionnisme, il vient de réaliser, enfin, qu’il ne pourrait prétendre accéder, éternellement, au label « LEF ». Il devrait en être dépossédé. Sa décoration, par la reine, n’aurait été que provisoire. L’heure de la rétrogradation aurait sonné. Un citoyen de « seconde catégorie », telle est la position que certains indigènes de dimension locale voudraient, désormais, lui assigner. L’étiquette qu’ils aimeraient tant lui coller. Mais, cette hostilité ne le décourage point.

(…)

Amine semble avoir pris de l’ampleur. C’est une jeune pousse exotique qui commence à égaler, voire dépasser, certaines branches ménopausées du petit et vieux tronc, aux racines bien profondes, et bien du coin. Elle lui fait de l’ombre. Un climat auquel ces vieilles boutures sont devenues allergiques.

En voulant astiquer avec vigueur l’épaisse croûte qui gît aux fonds des tiroirs de la boutique, mon ami soulève un tas de poussière. Il trouve même des fossiles. Son geste intrigue. Il fait éternuer ses collègues. Certains commencent même à tousser avant de finir par cracher et vomir. Y compris du sixième étage. Par ce jet microbien, ils salissent le jeune homme de ménage. Mon ami vient de créer un courant d’air. Les caïds ne le supportent guère. Amine est devenu comme un miroir qui réfléchit à certains ce qu’ils auraient dû faire ou, ce qu’ils n’ont pas voulu faire ou, ne peuvent pas faire ou encore, ce qu’ils ne sont pas ou, ne peuvent pas devenir. Bref, involontairement, sans le chercher, il les mets face à leurs limites et devant les conséquences de leurs décisions.

(…)

Un nouveau patron est arrivé. C’est du pain béni ! C’est le moment d’agir. Il faut casser ce nouveau petit miroir, aux bords folkloriques, qui nous reflète nos vrais visages. Qui les dévoile. Qui fait tomber nos masques et nos déguisements traditionnels. Qui retire nos habits et tenues de fortune. Qui nous dénude. Il ose briser notre norme locale. Il détruit la muraille du silence. De l’omerta. Il crée une brèche. Il fragilise notre « cité interdite ». Inacceptable !

Je vois mon ami traqué par un groupe d’individus. Par des silhouettes défraichies aux contours imprécis et aux bords mal définis. On dirait des moribonds. Amine est défié. Il est poursuivi et chassé. Il refuse l’affrontement. Il tente de discuter et de négocier. A son invisible adversaire, et à plusieurs reprises, il propose une solution amiable. Ses détracteurs se moquent de lui régulièrement, durablement, douloureusement, violemment, publiquement, honteusement.

On dirait « Caliban » dans la « Tempête ». Mais, non ! C’est bien Amine au pays des Codes Bleu-Marianne. Au « pays des merveilles » …

Mon ami court. Il arrive au bout du chemin. Au bord de la falaise. Au bout du gouffre. Au bord de l’asphyxie. La pression et le vertige ! Il est épuisé. Il a faim. Il a soif. Il est rapidement encerclé par la bande. Il est sur le point de tomber. Durant sa chute, et avec une certaine nostalgie, mon ami prend tout de même le temps d’admirer la hauteur de la position dans laquelle son ancienne aile protectrice l’avait déposé, laissé et abandonné avant qu’elle ne s’envole vers de nouveaux horizons.

J’éprouve quelques malaises à identifier la raison objective qui pourrait expliquer et justifier un tel acharnement.

(…)

A travers ce mur, je perçois de petits animaux qui se regroupent et conjuguent leurs efforts pour tuer un plus gros animal. Quand ce n’est pas l’un qui attaque, c’est l’autre qui prend le relais et, frappe. Et pique, déchire, arrache. Chacun à son tour. Simultanément, alternativement, de façon organisée, coordonnée, orchestrée et sponsorisée. Les blessures ne laissent couler aucun fluide. Pas une goutte de sang. Du propre. Du travail d’habitués, de professionnels chevronnés, de créatures entraînées et aguerries. Les prédateurs optimisent leurs efforts. Ils préservent leurs forces tout en tentant d’user leur proie, isolée. Ils jouent la montre. Ils cherchent l’épuisement. Ils agissent à l’abri des regards, bien sûr. Dans une cave ou dans un souterrain mal éclairés. « La cruauté est la force des lâches. » Ils ne laissent de traces que dans la tête de leur cible. Une tournante. Un viol moral collectif. Une torture. Un crime.

Comme une herse silencieuse, avec ses nombreuses piques, la main de la bande invisible laboure intensément, et en profondeur, le jeune corps de mon ami. Elle le creuse. Elle le prépare. Elle le fertilise. Elle veut y semer les graines de la division, de la colère et de la haine. Elle envisage d’arroser cette semence avec ses postillons, crachats et vomissures. Elle veut lui faire pousser la barbe. Barbe de la maltraitance, de l’indifférence et de l’injustice. Barbe du profit et des enjeux personnels et catégoriels. Barbe de la soif. Barbe de la faim. Celle de la fin.

Mais, je connais la qualité du terreau de mon ami. Elle est incompatible avec le traitement qu’on lui inflige. Peine perdue ! Bien que l’orage gronde, les larmes saccadées et provoquées qui ruissellent, de façon programmée, des yeux de mon ami ne font pas germer ce type de graines. Il y a comme une mauvaise formule.

(…)

De façon inattendue, je ne sais par quel miracle, je vois Amine se redresser. Je suis surpris tout autant que la bande. Il arrive à trouver refuge dans son coin habituel, et isolé, de la boutique. Il retrouve ses quelques mètres carrés sans lumière naturelle ni aération. A nouveau, il y prend logis. Dans ce petit local, souvent maux de tête et nausées le guettent. Sa fiche de fonction est vidée de sa substance. Au fil des jours, son téléphone devient aphone. Son agenda blanchit. Son « carrièrogramme » s’aplatit.

Avec la pointe de sa plume, mon ami tente d’extraire et d’évacuer les nombreuses et diverses lames tranchantes des couteaux plantés par derrière, insidieusement, sournoisement, à plusieurs reprises, par la main invisible. Son bouclier n’est qu’une simple pointe de plume qui, spontanément, se trouve aiguisée par les nombreuses pierres lapidaires que la bande utilise pour lyncher mon ami. Amine tente de soigner ses plaies intérieures. L’encre devient son pansement. Il s’en sert pour colmater les brèches de ses fissures invisibles. Mon ami est marqué. Il est tatoué.

Comme disait Albert Londres, « Il est de porter la plume dans la plaie. »

Il écrit, donc il existe. Mon ami prend conscience de sa chance. Il a appris à lire et à écrire dans la langue du pays. Il a su embrasser la langue de Marianne. Il a su caresser sa trame. Ce n’est, peut-être, pas le cas de tous ses semblables. Je vois quelques jaloux à la technique de drague rodée mais néanmoins douteuse. Des inconditionnels du « léchecultage » promotionnel et des courbures de bienséance. Des habitués du cirage, de la savonnette et de la sucette. Quelques petits poids, bien légers, qui flottent et qui dansent. Qui tanguent selon la force et la direction du vent. Des éléments instables qui seraient prêts à vendre leurs âmes pour accéder en haut de la pyramide. Des grains de sable dorés qui filent entre les petits doigts de velours. Ils sont facilement reconnaissables. Ils sont suspendus en l’air, dans leur bulle. Solidairement, ils ont saisi la mauvaise branche. Ils se tiennent par la barbichette à la texture et consistance bien fragile. Tu me lâche, je te lâche !

Mon ami se découvre. Il découvre son armure. Il remarque que ses mots deviennent des projectiles. Ses phrases des flèches et des missiles. Son verbe est la seule arme qu’il lui reste. Il n’a guère d’autre choix possible. Alors, de son cachot, il écrit. Il résume, bien que le mur lui reproche souvent de trop écrire. De trop le noircir. Mon ami aurait commis le tort d’avoir trop subi. Il rédige, colle et poste. Il ne peut communiquer autrement. Il envoie des messages dans toutes les directions. Il tente d’alerter ses collègues. Il demande de l’aide et appelle au secours. Il est en détresse. Désormais, il refuse d’encaisser en silence. Il refuse la tondeuse. Il décide de sortir de l’isolement dans lequel certaines momies de la nouvelle pyramide veulent le cantonner et l’enfermer. Il rejette le niveau dans lequel ces fossiles veulent le plaquer, l’immobiliser et l’enterrer. Alors, des oubliettes mal éclairées dans lesquelles il est jeté, il écrit pour garder contact et pour faire entendre les échos de sa grotte. Pour indiquer en permanence ses coordonnées et sa localisation. Pour dire qu’il est toujours vivant et disponible. Pour faire taire les ragots et la calomnie des couloirs. Ceux de l’approximation et de la mauvaise foi. De la ruse et du mensonge. De l’incompétence et de la terreur. Du mépris et de l’humiliation.

Avec son encre bleue-Marianne, qui signe l’originale et rappelle la source, il asperge les hautes étagères de son placard dans lequel il est enfermé à double tour. Celles qui ne servent pas souvent. Voire celles qui ne servent jamais, à rien, sinon à occuper de l’espace, et à gaspiller les fonds en tuant le temps. Ces planches en hauteur qui génèrent quelques béquilles, courbatures et déchirures aux bras levés qui tentent de les alerter, les approcher, les toucher, les appréhender sans les faire tomber, les déstabiliser ne serait-ce qu’un moment, les alourdir. Ces membres inférieurs, d’en bas, qui se lèvent et essayent de rompre le cocon de tranquillité des membres supérieurs, ceux d’en haut. Une gymnastique périlleuse à laquelle la rigidité du premier cercle n’est nullement coutumière ! Je veux parler de ces hauts niveaux qui étouffent en rendant quelques rangements inaccessibles et incompréhensibles. Ceux qui encombrent en rendant quelques organigrammes illisibles et inutiles.

(…)

Impunité !

On dirait une pathologie silencieuse et contagieuse d’un système poly-endogame …

Je commence à apercevoir, à nouveau, les traits du visage de mon ami Amine. Il n’est plus flouté. C’est bizarre ! On dirait mon sosie. Je me vois en lui. Je vois ma tête portée par le corps d’Amine.

Amine, c’était donc moi.

Mais, moi, je m’appelle Dominique.

Mais, non ! Amine est à mes côtés.

C’est bien moi. Je suis bien Dominique. On dirait que le mur m’a aspiré. Il m’aurait avalé. C’est même sûr. On dirait que c’est mon tour qui arrive.

Brusquement, je vois mon ami Amine s’éloigner. Pour ses loyaux services rendus, il n’a même pas le droit à la récompense voulue par « le décret de l’année 304/3 ». On ne lui accorde même pas des « éloges ». Ni même une « couronne de feuillage ».

(…)
 
 
 
 

mercredi 6 février 2013

L'hôpital public : "PSG" !


C’était dans mon rêve …

La mission d’un hôpital public peut se résumer en trois lettres : « PSG ». Comme « Prévenir », « Soigner », et peut-être « Guérir ».

L’état dans lequel se trouve notre hôpital public me conduit à soumettre quelques nouveaux éléments de réflexion, non exhaustifs. Pour éviter notamment que la « base » ne soit sacrifiée, tel un bouc-émissaire, à la place de quelques décideurs de la « pyramide ».

Il me semble que les solutions se trouvent dans l’analyse des causes qui ont conduit à un pareil délabrement de notre hôpital public. Peut-être pourrait-on « tourner la page », mais on ne peut « déchirer » celle-ci. Les événements du passé dessinent les chemins de l’avenir. C’est comme dans les films « Le retour vers le futur » …

En préambule, il y a lieu de rappeler qu’il serait vain et illusoire de vouloir me faire croire que les dysfonctionnements seraient la conséquence du, seul et unique, manque de moyens. La loi est belle, mais sa mise en œuvre serait parfois approximative et aléatoire.

Cette situation était prévisible et dénoncée à plusieurs reprises ; y compris par voie de presse. Mais, en vain.

Notre outil de travail a été mis à genoux. Le désordre a anéanti l’ordre. La négligence et l’imprudence ont insulté la rigueur. Les « codes locaux » ont « mis au tapis » les codes légaux. En toute impunité.

Les compétences médicales, notamment, de différentes spécialités, au parcours et à l’engagement institutionnel vérifiables, à la stabilité certaine, au salaire codifié, ont fini par prendre la fuite eu égard à la surdité et à l’aveuglement démissionnaires. Elles ont laissé la place à quelques mercenaires, de passage, rémunérés avec des « magots de maharadjah ». Je ne peux que contempler « la liste » ; la preuve du turn-over. De la valse. Ça va et ça vient. Instabilité. Insécurité. Précarité. Intérim. C’est devenu la routine.

Je n’oublie nullement le départ de plusieurs directeurs adjoints notamment. Par exemple, combien de directeurs financiers se sont-ils succédés sous le règne de l’intouchable « col blanc » ?

Un hôpital public qui réduit, en le déconsidérant, un seul de ses services de soins se met lui-même en situation délicate. De façon imagée, c’est comme une équipe de football (ou autre) qui contiendrait, parmi ses joueurs, un élément non performant … Et que dire lorsqu’un tel traitement s’applique à plusieurs services de soins ?

Asphyxier un service de soins étiqueté, par je ne sais quelle « règle », comme « non rentable » revient à fragiliser plusieurs autres services de soins dont ceux dits « rentables ». Méconnaître le lien fort existant entre toutes les disciplines médicales s’apparente à la destruction d’un « bloc de compétences » ; dont les membres doivent pourtant avancer, nécessairement, ensemble et dans la même direction. Méconnaître ce lien, et le « château de cartes » s’effondre.

C’est comme l’équipe de football qui ne valoriserait que ses joueurs mis en première ligne : les attaquants …

Pour fonctionner correctement, les services de soins dits « rentables » ont besoin des avis des spécialistes exerçant dans les services de soins qualifiés de « non rentables ». Ladite « règle » a ignoré ce fait. Et, aujourd’hui, l’addition semble lourde.

Pour marquer un but, les attaquants ont besoin des ailiers, des milieux de terrain, des défenseurs et du gardien de but notamment … et inversement …

Comme si les services de soins qualifiés de « non rentables » effectuaient les actes pour eux-mêmes ! Alors que ces services ne font que répondre à une demande des autres services de soins. Mais, peut-être que ces services dits « non rentables » devraient-ils facturer leurs prestations aux services demandeurs.

C’est comme si on disait à tous les joueurs de l’équipe de football, excepté les attaquants : vous ne marquez pas de buts, donc vous êtes inutiles. On imagine mal une équipe de football dans laquelle seuls les attaquants seraient correctement habillés avec a minima un maillot, un short, des chaussettes et des chaussures.

J’ai assisté à un étonnant phénomène. Le labile et le volatile ont remplacé le stable. Le secondaire a supplanté le principal. Le douteux a chassé la compétence. La ruse et le mensonge se sont développés. L’arbitraire a prospéré. Les instances se sont transformées en chambres d’enregistrements. Les procès-verbaux des séances sont devenus « light ». L’appropriation de l’institution et la censure. Le Management « médico-administratif » par les preuves a cédé au « management » par la Terreur. Mépris des patients et des soignants. Corruption des mœurs. Et gare à celle ou à celui qui tente de s’opposer à un tel écoulement et, qui ose bousculer le statu quo.

Ça « joue », mais on ne sait pas comment faire pour « marquer un but » tellement l’adversaire est coriace. Et, les meilleurs « joueurs » sont sur le « banc des remplaçants ». Priorité aux « anciens moustachus » et aux ami(e)s. Ce sont toujours les mêmes « joueurs » qui font les parties ; et ces derniers seraient dotés d’une surprenante faculté qui leur permettrait de « jouer » à tous les postes. Il y en a même qui « jouent » à plusieurs postes en même temps ! Une impressionnante capacité de « dédoublement » …

On ne sait pas faire. Alors, on « joue » au-delà des limites du terrain : sur la touche, derrière son propre but, dans le vestiaire, … etc. L’essentiel serait de faire semblant de s’agiter. Seul « bouger » serait important même si le mouvement est fait dans le sens inverse. Et, que l’on marque régulièrement des buts CSC (contre-son-camp).

L’intervention épisodique d’un arbitre (l’équivalent de la haute autorité de santé, ou un inspecteur, par exemple) arrive à remettre temporairement, l’’instant d’une visite, les « joueurs » et leur « entraineur » dans le bon sens. Mais, dès que l’arbitre s’éclipse, les réflexes reprennent leurs us-et-coutumes. Sous le regard désolé des remplaçants, gonflés à bloc.

Aussi, Madame la « rigueur budgétaire », vous appartiendrait-il de ne pas se tromper de cible(s) lors des éventuelles mesures, nécessaires, de redressement que vous serez, peut-être, amenée à prendre.

En effet, ces éventuelles mesures ne sauraient cibler les équipes déjà squelettiques. Elles ne pourraient se focaliser sur les professionnels de terrain qui sont au contact direct et permanent de la « poussière ». Elles ne sauraient sacrifier le travail des « chevilles ouvrières » dévouées, aides-soignant(e)s, infirmier(e)s, voire agents administratifs, … etc., aux salaires de « misère ». Elles éviteraient d’appauvrir l’essence même de nos métiers et, en particulier ceux centrés sur la sécurité des soins déjà bien malmenés. Elles ne sauraient vider de leur substance les coopérations existantes, depuis de nombreuses années, et tissées dans le cadre de réseaux régionaux et/ou nationaux sous prétexte de vouloir récupérer quelques centaines d’euros par an (correspondant aux frais de déplacements par exemple). Ces coopérations nous permettent de « sortir du bocal » pour « prendre un peu l’air » lors de contacts professionnels avec des équipes hospitalo-universitaires dont la hauteur est toujours maintenue. Besoin « d’oxygène » …

A mon sens, et dans l’intérêt premier du patient, de tout patient potentiel, et de notre hôpital public, il serait plus judicieux de « demander des comptes » notamment aux membres « d’en haut » dont les décisions sont à l’origine de la situation inquiétante actuelle. Le « solde de tout compte » devrait leur être soumis. Ils ne peuvent s’exonérer de leurs responsabilités qu’ils revendiquent et affichent. Ils ne pourraient non plus les répercuter sur « la base ». Ils ne peuvent éternellement se cacher derrière le « bouclier : institution » ; cet étonnant privilège accordé à certains responsables de la fonction publique. Ils devraient être réduits à leur simple dimension de « praticien » et/ou « agent », voire de « citoyen ».

Il y a lieu également de s’interroger sur le fait qu’on accompagne, tranquillement, tel ou tel « chef de service » jusqu’à sa retraite malgré le fait qu’il a « plombé » ledit service. Ce chef a non seulement « fait dodo » pendant plus de trente ans, mais en plus il a empêché ses subordonnés de faire leur travail. Et, je ne parle pas du salaire (13ème échelon s’il vous plait) qui lui est versé à chaque fin de mois comme un « jackpot ». Vive la fonction publique à l’hôpital !

Et que dire de ce pôle « vedette »* qui, à lui seul, aspire et siphonne des ressources et énergies invraisemblables depuis plusieurs années ? Par exemple, a-t-on chiffré le coût de toutes les réunions et déplacements consacrés à cet ambitieux projet ? En plus, regardez juste le nombre de ses praticiens et de ses internes et comparez-les au nombre de lits pris en charge. Faites vos calculs, posez vos ratios. Et, recommencez la même opération avec les autres services de soins où certains, bien isolés, risquent de « crever la bouche ouverte ». Puis, tirez vos conclusions. L’équilibre serait rompu. La balance serait décalée et mal tarée.

Mais, il est vrai que les artisans d’un tel projet ambitieux font partie du « premier cercle ». Un « caprice des dieux » ? Pendant que les autres services de soins sont mis à la « diète » et à la « cure d’amaigrissement » ? Une « Rolls-Royce » dans le « désert » ?

(*) : Cf. article intitulé : « L’hôpital public est-il soluble dans le marketing ? » Publié en septembre 2006 dans une revue nationale avec comité de lecture (« Le Pharmacien Hospitalier »).

Faudrait-il être « président de la commission médicale d’établissement » ou « membre du directoire » pour espérer une réponse positive à un projet professionnel bien documenté et utile pour l’établissement et ses patients ? Et, à long terme …

Je perçois comme une indécence. Alors que, par exemple, la population vieillit (nous dit-on) et que les patients âgés ont besoin, pour leur prise en charge globale, de quelques spécialités médicales bien précises et pointues, notre hôpital ressemblerait à une « terre brûlée » pour ces disciplines …

Sauf erreur de ma part, la responsabilité d’un tel effritement ne saurait être imputée au seul directeur qui, en plus, aurait, semblerait-il, quitté l’établissement avec les décorations (médailles de la ville et de l’hôpital), les discours, les sourires, les petits fours, les flashs …

Mais, on connait l’autre face de cette jolie « carte postale » …

En la matière, quelle est la responsabilité notamment des membres du directoire (ex. conseil exécutif) ? Du conseil de surveillance (ex. conseil d’administration) ? De l’agence régionale de santé (ex. agence régionale de l’hospitalisation) ? … etc. Tous ont été parfaitement informés dès la constatation des prodromes d’une pareille pathologie silencieuse et contagieuse.

Mais, les lanceurs d’alertes n’ont reçu que « jets de pierres » en retour …

Et que penser lorsqu’on constate que ces mêmes individus sont toujours membres de l’équipe dirigeante actuelle ? On prend les mêmes et on recommence ?

Alors, dans la mesure où on semble attaché à l’efficience des soins (qui inclut les trois dimensions inséparables suivantes : qualité, sécurité, coût), à la rigueur (mot devenu tabou), il faudrait savoir aussi « écouter les bruits de la soute » tel un pilote d’avion ou un commandant de navire …

Il y a lieu de ne pas confondre « efficience et rationalisation » avec « rationnement ».

Il revient aux décideurs qui ont persisté et signé, alors qu’ils avaient été pourtant alertés à plusieurs reprises, de payer la facture d’un redressement éventuel.

Ou alors, étant donné que la mission qui est la nôtre peut se résumer en trois lettres : « PSG ». Comme « Prévenir », « Soigner », et peut-être « Guérir ». Et, s’il manque des fonds, on sait ce qu’il reste à faire …

A tort ou à raison …

Un drôle de rêve !