jeudi 29 octobre 2020

Caricatures du Prophète Mohammed. Monsieur le Président de la République Française : ce que j’aurais pu vous dire si j’étais l’un de vos Conseillers

 

Monsieur Emmanuel MACRON,

Président de la République Française,

 

 

 

Cher Président,

 

 

 

 

 

 

 

« Je vous ai compris. » (Le Général Charles De Gaulle ; Charles le Catholique)

 

 

À tort ou à raison, et sous toutes réserves,

 

 

Je ne pense pas me tromper beaucoup en disant que la quasi-totalité des français est plus qu’éprouvée par tous ces conflits, et c’est peu dire, qui puisent leurs racines dans la question religieuse. En effet, après les païens, les chrétiens, les juifs… cette question semble, désormais, concerner les musulmans notamment. Pour la majorité des français, ce problème est subsidiaire. Pourtant, depuis plusieurs années, certains Hommes (femmes et hommes) politiques et certains médias nous imposent ce thème de façon chronique et prioritaire.

 

L’inqualifiable vient, à nouveau, de se produire sur le sol français. Aucun argument, aucun mot, ne peut le qualifier ou le justifier.

 

Profitant de ce drame, et de façon sournoise, certains tentent de diviser notre pays de l’intérieur. De l’extérieur, certains vous attaquent personnellement en vous reprochant de « persécuter » les musulmans vivant en France ; d’autres, en revanche, semblent appeler à la raison.

 

Relevons que le sort réservé, en ce moment même, à d’autres musulmans vivant sur d’autres territoires du monde ne semblent déclencher aucune réaction efficace en leur faveur. Mais, nous savons qu’un État n’a ni amis, ni ennemis ; il n’a que des intérêts.

 

Sur la question musulmane, méfiez-vous de ceux qui vous disent ce que certains groupes politiques français voudraient entendre.

 

Je fais partie de ces citoyens français, d’en bas, ordinaires, qu’un ancien Président de la République Française avait qualifiés de citoyens « à l’apparence arabo-musulmane ».

 

Après chaque acte, inqualifiable, de nature criminelle ou délictuelle, commis au nom de l’« Islam », même par un Étranger, ces citoyens « à l’apparence arabo-musulmane » seraient présumés « solidaires » de cet acte. Ils sont alors invités, avec insistance, à s’en « désolidariser », publiquement. Se désolidariser de quelque chose dont ils n’ont jamais été solidaires et dont ils ignoraient même le projet. Au moins deux liens sont donc, systématiquement, établis pour leur compte par des tiers : le premier avec ledit acte criminel ou délictuel ; le deuxième avec la religion musulmane. Certains vont même jusqu’à considérer un citoyen avec une « tête d’arabe » comme étant naturellement « musulman ». Ces citoyens sont, mécaniquement, mis en position de justification ; alors même qu’ils n’aspirent qu’à vivre tranquillement en se fondant dans la masse : ils veulent juste être « français » et vivre en paix. Ni plus, ni moins. Après chacun de ces actes, ces citoyens sont donc secoués à deux reprises, au moins. Ils sont présumés complices du simple fait de leur silence pendant les nombreux deuils que notre pays a connu ces dernières années. Pis encore, la remise en cause du principe de la double nationalité émerge dans le débat alors même que notre Code civil prévoit déjà une telle déchéance dans des conditions bien précises. De l’agitation malveillante donc. Ce qui fait dire à ces citoyens qu’ils ne sont, finalement, que des « demi-français et à titre temporaire » ; que leur appartenance à la nation est fragile et éphémère. Des éternels Étrangers, en somme. Une telle approche, une telle stigmatisation, ne semble pas s’appliquer à nos autres concitoyens relevant d’une « autre apparence physique » et des autres religions.

 

Une autre secousse jaillit lorsque, dans les médias, certains s’estiment autorisés à parler en mon nom alors qu’ils n’ont reçu aucun mandat en ce sens ; et surtout quand ces médias offrent la primauté à des soi-disant représentants qui, pourtant, éprouvent de grandes difficultés à s’exprimer dans la langue française. Mais, les très bons clients de ces médias sont surtout celles et ceux qui ont la même « apparence arabo-musulmane » que moi, et qui ne cessent de dénigrer leurs propres racines ; sans doute pour plaire.

 

Des représentants qui ne représentent qu’eux-mêmes.

 

Par la force des choses, par l’exceptionnelle gravité et l’extrême urgence de la situation que connaît actuellement notre pays, je suis contraint de sortir de mon silence.

 

J’ai donc l’honneur de vous écrire cette lettre ouverte. Je ne vous promets pas d’être bref car le raisonnement proposé est d’ordre analytique ; par nature incompatible avec la synthèse. Mais, je serai concis en allant à ce qui me paraît être l’essentiel. Ces quelques lignes ne poursuivent qu’un seul but : vous soumettre quelques idées, non exhaustives, qui pourraient vous aider à unir tous les français et à garder des relations internationales cordiales avec les pays arabo-musulmans. C’est un raisonnement parmi d’autres. Un simple avis non conforme (qui ne vous lie pas). Une analyse d’un citoyen français « à l’apparence arabo-musulmane », avec un « bac. + 15 (au moins) ». Un citoyen qui connaît, en profondeur, aussi bien la tradition française que la culture arabo-musulmane que certains tentent, avec insistance mais en vain, d’opposer.

 

À titre liminaire, je me dois de vous préciser que je n’ai aucun lien ni aucun conflit d’intérêts. Je n’appartiens à aucune organisation quelconque de nature syndicale, associative, etc. Par principe, je ne participe à aucune manifestation et ne signe aucune pétition. Je ne m’engage que sur ce qui émane de mes propres recherches et de mon raisonnement personnel. Je m’exprime donc en toute indépendance en faisant appel à mon parcours et à mon expérience vécue. Mon avis ne prétend donc à aucune généralisation. Il ne présume, en rien, de mon appartenance, ou de mon non-appartenance, vraie ou supposée à telle ou telle religion ; de ma croyance ou de mon absence de croyance : je ne dévoile jamais la réponse à cette question et la réserve, de façon exclusive, à ma seule sphère intime.

 

En effet, à titre personnel, bien que n’étant pas un spécialiste du domaine religieux, je pense que la foi, ou l’absence de foi, devrait relever non seulement de la sphère privée mais également de la croyance intime et propre à chaque individu. Par exemple, pourquoi l’époux devrait-il imposer sa religion à son épouse, et inversement ? Ne serait-il pas préférable et judicieux de respecter les enfants en leur laissant la possibilité et l’opportunité de choisir, ou non, librement leur(s) religion(s) ? La croyance, ou l’absence de croyance, serait-elle un héritage qu’on pourrait léguer, de force, à autrui dès sa naissance et, sans le consentement libre et éclairé de l’intéressé ?

 

Mais, mon avis personnel n’est pas nécessairement partagé par tout le monde. Et heureusement.

 

Le respect commence par notamment un regard vers le paysage de l’autre ; et par l’expression d’un parler vrai.

 

Actuellement, le cœur du conflit semble se cristalliser autour des « caricatures de Mohammed », le Prophète des musulmans. Au fond, la question qui est soulevée est la suivante : peut-t-on rire, se moquer, de tout et avec tout le monde, publiquement ?

 

Le 26 octobre 2020, le journal Le Parisien publie un article sous le titre : « Le Maroc condamne à son tour la publication des caricatures de Mahomet dans l’Hexagone ». Ce titre révèle bien le raisonnement actuellement déployé sur notre territoire national. Il me semble que cette vision des choses est entachée d’une erreur d’appréciation de la portée desdites caricatures. En effet, contrairement à ce qui est soutenu dans ce libellé, lesdites caricatures ne sont plus publiées uniquement dans « l’Hexagone » : leur diffusion ne se limite plus à une partie du territoire national. Depuis l’avènement d’Internet notamment, leur portée est internationale. Ces caricatures atteignent tous les territoires du monde (dont l’autre partie du territoire national) et notamment « plus de deux milliards » de musulmans comme le relève ce même article du Parisien. Cette question ne peut donc être traitée en ignorant le reste du monde ; et en négligeant les conditions de vie en sécurité que nos compatriotes français, vivant à l’Étranger et notamment dans les pays musulmans, sont en droit d’attendre.

 

Le Maroc, pays ami de la France, ne peut être accusé d’une quelconque complaisance avec les pratiques déviantes par rapport à l’Islam. Le Roi du Maroc est le siège d’une double autorité : temporelle (politique) et spirituelle (religieuse, musulmane). L’école publique marocaine confie l’enseignement de la religion musulmane à des professeurs qualifiés en la matière. Cette même école dispense aussi, et avant tout, l’enseignement des autres matières qui permettent l’émancipation et la sécularisation. Deux langues maternelles y sont enseignées dès le plus jeune âge : l’arabe et le français (l’anglais commence plus tard). Relevons que de nombreuses années sont nécessaires à la maîtrise parfaite de la langue arabe ; et que seule cette maîtrise rend la lecture du Coran, le livre sacré des musulmans, directement accessible : l’individu instruit n’a plus besoin d’un intermédiaire pour comprendre les principes fondamentaux de l’Islam. Cet enseignement met en lumière plusieurs points. C’est ainsi que, pour être musulman, la première des exigences consiste à reconnaître, et à respecter, les autres religions. Qu’il existe un gradient du niveau de croyances : le « mouslim » est celui qui reconnaît l’existence de Dieu et du Prophète en prononçant une seule phrase ; le « moumin », lui, est un mouslim qui s’engage dans la pratique religieuse en s’acquittant des devoirs requis, prescrits. Et souvent, de nombreux citoyens marocains font le choix de s'acquitter de leur prière dans l’intimité de leur foyer notamment, sans aller nécessairement et systématiquement à la Mosquée. Citons un autre exemple : le Coran encourage les croyants à emprunter aussi la voie qui mène vers l’acquisition du savoir tel que celui des sciences, des mathématiques, etc. ; et leur accorde une place très honorable dans la hiérarchie des croyants. Ce qui est fidèle à la civilisation arabo-musulmane, si souvent dévoyée. La longévité du Coran s’explique notamment par sa souplesse qui permet son interprétation en fonction du lieu et du temps. Il autorise la contextualisation de ses principes fondamentaux. Ce qui conduit à la naissance de différents courants de pensée qu’il conviendrait de respecter, sans arrogance. La tradition marocaine consacre le respect des plus âgés, même lorsqu’ils ont tort. Elle dit aussi que la reconnaissance doit s’exprimer, sans faille et de façon éternelle, envers toute personne qui vous transmet un savoir : vos parents, vos professeurs, vos maîtres des arts martiaux, vos entraîneurs de football, etc. Je pourrais continuer à vous dérouler tous les enseignements tirés du Coran pour répondre à tous les préjugés qui accablent l’Islam, mais là n’est pas notre sujet actuel. Et puis, après tout, « il est plus facile de briser un atome qu’un préjugé » (Albert Einstein). Retenons simplement que l’Islam exige un comportement exemplaire et respectueux de soi et d’autrui : une rectitude du corps et de l’esprit.

 

En cela, la position du Maroc vis-à-vis des caricatures litigieuses devrait donc nous interpeller. Car la France et le Maroc ont aussi une histoire commune particulière ; leurs peuples respectifs sont liés : ils s’aiment et continueront de s’aimer malgré les tempêtes. C’est comme je t’aime, moi non plus.

 

Je fais partie aussi de ces « immigrés », devenus pleinement français, que certains ne voudraient plus accueillir. Je vis en France depuis maintenant plus d’une trentaine d’années. J’ai pu accéder aux meilleures universités françaises (Facultés de Pharmacie, puis de Droit). « Tiens-toi droit, et la France t’offrira la réussite que tu mérites » est le seul conseil que mes parents m’avaient donné à l’aube de mon départ vers la France. Leur conseil s’est avéré juste. Et je ne me suis pas forcé à le suivre. Je me sentais naturellement français, autant que marocain, avant même de venir en France. Pour autant, je n’oublie pas d’où je viens et refuse de renier mes origines ; d’ailleurs, la France ne m’a jamais formulé une telle demande de façon expresse. Avancer en oubliant de regarder dans le rétroviseur pourrait s’avérer dangereux.

 

En France, c’est à l’université que je me suis senti réellement et pleinement français. Mon travail y était récompensé à sa juste dimension, à sa juste valeur. Mes droits y étaient totalement respectés. Mon intégration, voire mon assimilation, a été possible par la combinaison de deux éléments essentiels : les études universitaires qui se sont bien mariées avec la pratique régulière de la première de mes passions, le football.

 

N.B. (à titre infiniment accessoire) : Mais, dans le milieu professionnel (dans un hôpital public français), je dois avouer que l’affaire est d’une toute autre nature… Après un début de carrière et une ascension sans écueil, un changement de direction de l’hôpital est venu, brutalement, précipiter ma chute. En voulant continuer à corriger les dysfonctionnements qui mettent en danger la vie des patients, je me suis vu reprocher, par écrit, mon respect, non négociable, de la Loi de la République Française en ces termes (et ce n’est qu’un exemple) : « En clair, Monsieur UMLIL (…) esquive ainsi ses responsabilités derrière un recours permanent et paralysant aux textes officiels et aux recommandations »… Ne pouvant m’accuser d’extrémiste religieux, mes détracteurs (quelques individus détenteurs du pouvoir local) me voyaient comme un intégriste de la loi Républicaine. L’incompréhension. La mauvaise surprise. Le choc. La communauté médicale est venue à mon soutien : « La commission médicale d’établissement réunie en formation restreinte demande à Monsieur le Directeur de mettre tout en œuvre pour permettre à Monsieur Amine UMLIL d’exercer sa fonction de pharmacien au sein du centre hospitalier de (…), dans le respect de la réglementation en vigueur, des règles de métier de sa profession et des connaissances acquises de celle-ci. » Extraordinaire motion. Cela ne devrait-il pas être la règle dans un établissement public de santé ? Devrais-je négocier l’évidence même de mon métier ? « Conflit avec la hiérarchie et l’institution portant sur des valeurs éthiques », relève le médecin inspecteur régional du travail. Ce dernier poursuit : « (…) Du côté travail, alors même qu’il est certain que son caractère rigoureux, les valeurs d’honnêteté et de droiture sur lesquelles Monsieur UMLIL est construit, l’ont amené à se trouver en décalage au niveau des exigences dans le travail par rapport à l’institution et le chef de service (…) ». J’ai résisté en actionnant les leviers de la République, dont certains se sont avérés décevants et lâches, et fini malgré tout par trouver ma résilience en atteignant ma pleine dimension (au sein de ce même hôpital). Ma carrière, elle, a été ralentie et déviée de sa trajectoire. Je me suis senti bien seul dans ma traversée du « désert ». Mais, avec le temps, je me dis que cette expérience douloureuse faisait partie de mon destin. Luchar es mi destino. Une nouvelle épreuve qui m’a permis de découvrir que j’étais capable de m’adapter ; qui a révélé l’étendue de mes autres capacités jusqu’alors insoupçonnées.

 

En quelque sorte, je suis toujours à la quête de nouvelles connaissances, dans différents domaines. Un éternel étudiant. Peut-être aussi parce que les universités et leurs bibliothèques sont sans doute des lieux qui me procurent un moment de répit dans ce monde de brutes. Vous pouvez donc mesurer, Monsieur le Président, l’intensité de la douleur que j’ai dû ressentir lorsque j’ai appris ce qui s’est produit en ce mois d’octobre 2020 dans un Temple, un sanctuaire, du savoir. Je ressens cette même tristesse lorsque j’apprends la perte de toute vie humaine, ici ou ailleurs.

 

Mais, en responsabilité, surtout celle que le peuple français vous a confiée, la légitime émotion et la réaction à chaud conduisent rarement à la prise d’une décision efficace et à la mise en place d’une solution corrective, et surtout préventive, juste et pérenne. L’analyse exhaustive et sereine des causes d’un problème doit précéder toute décision. Établir l’arbre de ces causes ne revient, en rien, à justifier ledit acte de nature criminelle ou délictuelle. S’extraire du conflit est un exercice difficile. Pourtant, c’est cette prise de distance, de recul, de hauteur, qui pourrait nous offrir la meilleure visibilité de l’équation à résoudre ; la meilleure chance qui permet d’atteindre notre objectif commun fixé : vivre en paix, ensemble.

 

« Ne laissons pas des tragédies sanitaires ou terroristes gouverner nos émotions, et capituler notre raison face aux libertés sans lesquelles il ne peut exister de démocratie. » (Face aux menaces sur les libertés publiques, les juristes doivent prendre parti » ; Victor AUDUBERT, 23 octobre 2020, DALLOZ)

 

Nous devons donc, tous, et surtout vous Monsieur le Président et comme le prévoit la Constitution, nous hisser au-dessus de la mêlée avant d’amorcer notre analyse pragmatique, rationnelle, objective de la situation actuelle. Une telle analyse nécessite du temps et la convocation des compétences disponibles. Mais, dans l’immédiat, nous ne disposons pas de ce temps nécessaire et utile. Alors, pour l’instant, je ne peux vous proposer qu’une solution d’urgence.

 

Que constate-t-on donc aujourd’hui ?

 

D’un côté, dans la tradition musulmane, la représentation physique du Prophète est strictement interdite. Dans les films qui retracent la vie du Prophète, ce dernier n’est jamais visible : il est souvent représenté par un faisceau de lumières. Je vous disais aussi que la reconnaissance de ce Prophète constitue la porte d’entrée dans la religion musulmane. C’est l’un des piliers fondateurs de l’Islam qui fédère autour de lui l’ensemble des musulmans de cette planète. C’est un puissant liant. Je serais même tenté de dire qu’aux yeux de certains musulmans, la vie de l’un des leurs serait moins importante que l’atteinte portée à ce symbole de l’Islam.

 

De l’autre côté, les auteurs des caricatures, objet de la confrontation, se fondent sur le droit au blasphème qui est autorisé en France dans le cadre de la liberté d’expression, une liberté fondamentale. Ces dessins ne se contentent pas seulement de caricaturer et de moquer les pratiques déviantes par rapport à l’Islam. Elles ciblent également le Prophète, lui-même, en le représentant avec, par exemple, une « bombe sur la tête », « nu »… Elles touchent ce qu’il y a de plus sacré aux yeux des musulmans.

 

Concernant ces pratiques déviantes par rapport à l’Islam, dans son entretien avec Noël BOUTTIER, Hamou BOUAKKAZ, français d’origine algérienne, attribue à Cat STEVENS ceci : « Si j’avais connu les musulmans avant de connaître l’islam, je ne me serais jamais converti » (Livre intitulé « Aveugle, Arabe et homme politique, ça vous étonne ? » ; chapitre IV « La droite n’aime pas les Arabes, la gauche n’aime pas les musulmans » ; année 2011).

 

Les caricatures ne ciblent donc pas uniquement les pratiques déviantes imputables à certains individus. Pour les musulmans, ces dessins sont doublement offensants : d’une part, le Prophète est représenté ; et, en plus, dans des positions qu’ils estiment choquantes et inacceptables. C’est ce que le journal Le Parisien a relevé dans la position du Maroc : « La liberté d’expression ne saurait, sous aucun motif, justifier la provocation insultante et l’offense injurieuse de la religion musulmane qui compte plus de deux milliards de fidèles dans le monde » ; tout en condamnant « toutes les violences obscurantistes et barbares prétendument perpétrées au nom de l’Islam, le Royaume du Maroc s’élève contre ces provocations injurieuses des sacralités de la religion musulmane ».

 

La position du Maroc est forte, sincère, fidèle et respectueuse. Elle est bienveillante et de bonne foi.

 

Nous sommes donc face à deux libertés qui s’opposent d’une part ; et face à deux angles de vue (approches, raisonnements, logiciels…) différents d’autres part.

 

Ces deux libertés recèlent un piège conceptuel redoutable lié notamment à l’absence de définitions précises, et partagées par tous, de ces deux notions. Comment distinguer ce qui relève de la religion et de la secte ? Comment définir, de façon claire et intelligible, ce qui est permis, ou non, par la liberté d’expression ?

 

À dire vrai, la tension observée est la résultante de plusieurs facteurs. Elle n’est pas la conséquence des seules caricatures. Elle est provoquée également par un contexte malsain, étouffant, devenu presque permanent notamment en France. Ce contexte permet, avec une aisance déconcertante, la diffusion de la haine aussi bien sur certaines chaines d’informations que sur les réseaux sociaux. Parmi les diffuseurs de cette haine figurent des Hommes politiques, des journalistes, des commentateurs… les mêmes qui ne cessent de dévoyer, publiquement, le principe de la laïcité en déformant ses fondements élémentaires qui sont pourtant enseignés dans les facultés de droit françaises. Cette haine surgit en particulier à l’occasion des échéances électorales. De façon répétée. Cyclique. La confusion linguistique alimente encore davantage ce climat délétère. Par exemple, l’emploi inapproprié du mot « islamiste » jette le trouble dans les esprits en établissant un lien, sémantique et psychologique, entre « Islam » et comportements déviants. En pareilles circonstances, même les citoyens, comme moi, deviennent une variable d’ajustement électoral. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui m’a contraint à ne plus participer à aucun vote, à quelque niveau que ce soit, depuis bien longtemps.

 

Cette haine s’ajoute à un autre fait : la fragilisation de l’ordre, conséquence de l’atteinte portée à l’autorité (parentale, éducative, policière, étatique…).

 

Il y a juste quelques jours, dans un communiqué, les auteurs de ces caricatures, eux-mêmes, ont dénoncé la récupération nauséabonde de ces dessins par certains groupes politiques français.

 

J’ai pu relever que dès que ces médias ne trouvent plus rien à dire, ils remettent à l’ordre du jour la question inhérente à l’Islam en la confondant avec d’autres thèmes tels que l’insécurité, l’immigration… ; mais sans convier les principaux intéressés : les musulmans qui accepteraient de dévoiler leur appartenance religieuse et qui ont une dimension universitaire dans de nombreux domaines (théologie, médecine, pharmacie, droit, grandes écoles…). Tout est fait pour maintenir, dans l’opinion, l’idée que les musulmans seraient incapables de réussir dans des horizons autres que le sport (football, arts martiaux, boxe…) ou la sécurité à l’entrée des lieux publics par exemple, de s’exprimer parfaitement dans la langue française, de s’intégrer, voire de s’assimiler, au sein de la communauté nationale. Pourtant, ce sont ces musulmans qui pourraient contribuer à résoudre l’équation visant à concilier des variables, des valeurs, en apparence contradictoires.

 

Je dois aussi dire qu’à mon sens, les citoyens français de confession musulmane seraient aussi et d’abord victimes de leur inertie. De leur acceptation de la fatalité. De leur résignation. De leur propre organisation désordonnée. Ils souffriraient de l’absence d’une autorité véritable qui pourrait sérieusement les représenter. La désignation de cette autorité ne saurait être ni descendante ni téléguidée. Cette autorité devrait pouvoir bénéficier d’une indépendance intellectuelle, politique, religieuse, financière et morale. Cela appelle une institutionnalisation de la discipline et l’instauration de véritables structures d’études théologiques. Il en va de la renaissance des valeurs de la civilisation arabo-musulmane, parfaitement compatible avec les valeurs françaises.

 

Ce n’est donc pas vous, Monsieur le Président, qui « persécutez » les musulmans ; mais, la question se pose à propos des politiques éditoriales de ces médias français notamment. Certains seraient même choqués de voir des rayons halal (pour les musulmans) et casher (pour les juifs) dans les magasins… Ceux qui vous accusent auraient la mémoire courte : ils auraient déjà oublié votre récente déclaration, en Algérie, dans laquelle vous avez affirmé, de façon inédite, que « la colonisation est un crime contre l’Humanité ».

 

Revenons à la liberté d’expression, qui n’est que le corollaire de la liberté fondamentale de pensée.

 

Deux hommes médiatisés ont été condamnés, par les juges français, pour incitation à la haine. L’un a disparu des écrans ; mais l’autre continue de sévir quotidiennement. Comment expliquer donc cette différence de traitement ? Une hypothèse : le second cible l’Islam ; et cela serait-il permis ?

 

En France, caricaturer le pilier de la religion musulmane est possible. Mais, caricaturer une ministre ou une députée déclenche l’indignation quasi-unanime ?

 

La liberté d’expression serait-elle totale, absolue, pour certains ; et restreinte, relative, pour d’autres ?

 

Charlie-Hebdo peut tout dire ; mais pas Valeurs Actuelles ?

 

Des groupes identitaires de l’extrême droite sont autorisés ; mais on voudrait dissoudre des associations, qui prétendent défendre les musulmans, en les qualifiant « d’islamo-gauchistes » ? Certains accusent même ces associations de mener un « Djihad judiciaire » ; autrement dit, ils leur reprochent d’actionner un levier légal : l’accès au droit et au juge. Ils les accablent de vouloir jouer à la victimisation. La manipulation de l’opinion peut être observée. Là encore, la méconnaissance de la langue arabe prive le lecteur du sens originel du mot « Djihad » qui signifie la lutte, le combat… Ce mot semble systématiquement associé à l’horreur alors que son sens premier vise le combat au sens noble du terme : les combats menés pour faire des études, chercher un travail, nourrir sa famille, se défendre de façon légale et légitime en saisissant les juridictions compétentes, etc. Par ailleurs, dissoudre un groupement reviendrait à perdre la visibilité de ses membres.

 

Suite au drame survenu, une Mosquée a été fermée à cause d’un message litigieux qui aurait été relayé par un membre de ce lieu de culte. Cette fermeture punit l’ensemble des pratiquants. Ferme-t-on également d’autres lieux de culte lorsque des actes criminels ou délictuels y sont commis ? A-t-on résolu le problème de fond par cette fermeture administrative ?

 

D’un côté, on fait la promotion d’une liberté de pensée absolue ; parallèlement, on veut limiter « certains courants de pensée ».

 

La religion musulmane n’ignore pas l’existence de l’intégrisme. Par exemple, un homme qui consacre sa vie entièrement à telle ou telle religion en se privant d’une vie familiale « normale » (se marier, faire des enfants, etc.) est considéré comme une forme d’intégrisme. Mais, posons la question suivante : cette homme n’aurait-il pas le droit de disposer de sa vie comme il l’entend à condition qu’il n’impose pas son mode de vie à autrui ? S’il ne fait de mal à personne ? En quoi une pratique religieuse stricte serait dangereuse pour autrui ? Qui serait réellement dangereux : celui qui est à fond dans sa religion et qui la connaît bien ; ou celui qui croit connaître sa religion alors qu’il vient à peine d’y rentrer ? Ledit gradient du niveau de croyances évoqué au début de la présente réflexion et allant d’une absence de pratique jusqu’à l’intégrisme en passant par le fondamentalisme. La question essentielle est donc celle de la légalité au sens de notre droit enseigné dans les facultés, et non pas celui entendu sur tel ou tel plateau de télévision.

 

Récemment, j’ai entendu certains affirmer que des discours peuvent « armer idéologiquement » ceux qui commettent des crimes ou des délits au nom de l’Islam. Justement, ceux qui connaissent bien leur religion ne peuvent être influencés par des tiers. Mais, si vous validez un tel raisonnement, ce dernier pourrait, à l’avenir, être opposé également à tous ceux qui « arment idéologiquement » les auteurs qui commettraient des crimes ou des délits, cette fois, contre les chrétiens, contre les juifs, contre les musulmans, contre les arabes, contre les noirs, contre tous les autres…

 

Bref, on ne comprend plus rien à ce deux poids, deux mesures. À cette rupture d’égalité observée lorsqu’il s’agit de ladite liberté d’expression.

 

À titre personnel, je considère la liberté d’expression comme un droit inaliénable et inconditionnel. Je lutterais pour que mon adversaire puisse tout me dire, y compris de ce qu’il y a de plus détestable. Il m’appartiendrait ensuite de lui répondre par le verbe et la plume, ou tout simplement de l’ignorer. Sans violence verbale, et encore moins physique. Car celle-ci pourrait être interprétée comme la matérialisation, le reflet, d’un manque d’arguments. À l’inverse, je renonce spontanément à ce droit que je reconnais à l’autre. Je ne m’autorise pas à actionner ce droit dans le seul but de nuire à autrui, de le provoquer sans cause fondée, de le tourner publiquement en dérision de façon déraisonnable et irresponsable ; et encore moins sous anonymat. La question fondamentale que je me pose est : quel est le bénéfice escompté que je cherche par l’usage de cette liberté d’expression ? Ma liberté, à moi, s’arrête là où commence celle de mon voisin. Pourquoi attaquer, gratuitement, les valeurs profondes de mon voisin ? Ma liberté est un curseur que je tente de placer à sa juste position. J’essaie d’en faire un bon usage. De ne pas en abuser. Dans le corps humain, lorsqu’une cellule refuse d’arrêter sa croissance au contact du périmètre - du domaine - des autres cellules, elle provoque une tumeur voire un cancer.

 

Mais, encore une fois, ma conception de cette liberté ne peut être imposée à autrui. Elle ne saurait constituer une preuve recevable à l’appui de la solution que je souhaite vous apporter.

 

En France, en cas de conflit, les rapports entre les individus sont régis par le droit. Il est, en effet, constant que le droit au blasphème est autorisé en France, notamment par les juges (jurisprudence). Mais, il est aussi constant qu’une liberté, aussi fondamentale soit-elle, peut être limitée par notamment un « risque de trouble à l’ordre public ». Et, je suis très surpris de n’avoir jamais vu personne soulever un tel moyen. Ce trouble n’est pas nécessairement causé par l’exercice de ladite liberté ; il peut être caractérisé par la réaction, même illégale, à la manifestation de cette liberté. C’est ainsi qu’un risque de trouble à l’ordre public peut être pressenti à l’occasion d’une manifestation dans la rue, pourtant régulière et déclarée ; et sans que ce trouble ne soit imputé aux personnes qui souhaitent manifester pacifiquement : le trouble peut venir d’ailleurs. Dans ce cas, cette manifestation se voit finalement interdite, du moins encadrée, par une mesure préventive de police administrative (un arrêté du Préfet).

 

Il est donc possible de porter atteinte à une liberté fondamentale en la limitant.

 

Un autre exemple peut être rappelé. Il y a quelques années, le spectacle d’un humoriste était programmé dans une ville en France. Mais, certains de nos concitoyens, de confession juive, contestaient la tenue de ce spectacle et envisageaient de manifester ; car ils étaient heurtés par certains contenus. Ce simple projet de manifestation a conduit à l’interdiction de ce spectacle par un arrêté préfectoral au motif dudit risque de trouble à l’ordre public.

 

D’ailleurs, actuellement, vous n’hésitez pas à restreindre plusieurs libertés fondamentales (personnelle, d’aller et venir, d’entreprendre…) du fait de la Covid-19 afin de protéger la santé, la vie, des français ; nous dit-on. Vous prenez ces décisions difficiles en vous basant notamment sur des modélisations informatiques, sur des projections, sur des hypothèses. Vous limitez ces libertés en prenant des mesures qui ne sont, en réalité, qu’un pari censé neutraliser un agent biologique imprévisible. Tout comme la morale publique, la sécurité et la santé publiques sont, en effet, d’autres impératifs pouvant conduire à la limitation des libertés.

 

En l’espèce, lesdites caricatures litigieuses ont déclenché des réactions d’une exceptionnelle violence. Celle-ci nous a propulsés vers un autre univers. Les auteurs de ces caricatures avaient d’abord reçu des menaces de mort, avant de perdre la vie dans des conditions là encore inqualifiables. D’autres victimes ont été enregistrées. La liste de ces victimes vient de s’allonger encore. Et d’autres menaces semblent surgir, à nouveau, en mettant nos vies en danger et en compromettant les intérêts diplomatiques et économiques de notre pays. Nous ne sommes plus uniquement dans ledit « risque » de trouble à l’ordre public », mais dans le trouble lui-même ; et le mot est faible.

 

Or, l’adversaire est invisible. Son attaque est imprévisible. Il nous est impossible d’assurer, avec certitude, la sécurité de chacun de nos concitoyens.

 

Malgré l’extrême gravité de cette situation, ledit argument juridique de « risque de trouble à l’ordre public » ne semble toujours pas effleurer l’esprit de personne. Pourtant, dès l’enregistrement des menaces contre les auteurs de ces caricatures, celles-ci auraient dû être retirées. Un tel retrait aurait, peut-être, permis de préserver de nombreuses vies humaines.

 

Je ne suis pas doté d’un don qui me permettrait de deviner ce qui se passe dans telle ou telle tête d’une personne qui passe à l’acte. Mais, je pense que ces personnes seraient convaincues de la légitimité de leur action qu’ils exécuteraient de bonne foi contre ce qu’ils considèreraient comme un ennemi qui les agresse par ces caricatures. Ils accueilleraient ces dessins comme une déclaration de guerre. Ils ne se considéreraient pas comme des criminels ou des délinquants au sens de notre ordre juridique. Il y a lieu de relever que d’autres ordres juridiques, eux, considèreraient le blasphème comme un acte criminel qui serait puni par la peine capitale (peine de mort). Nous vivons sur la même planète mais dans deux mondes différents qui semblent évoluer selon deux droites parallèles (qui ne peuvent se croiser) ; mais qu’une attraction (type aimant-métal provoquée par ce type de caricatures) temporaire nous propulse vers un autre univers.

 

Parce que chaque français semble être devenu une cible aussi bien sur notre propre territoire national qu’à l’Étranger, le sens de la responsabilité commande au retrait, en urgence, de ces caricatures afin d’arrêter cette escalade et cet engrenage. Pour séparer l’aimant et le métal. Et cette décision ne présume, en rien, de l’illégalité de ces dessins selon notre droit actuel. Et ne consacre nullement la victoire de la violence ou de la menace. Bien au contraire. C’est une preuve de courage. C’est un signe de sagesse. Seuls les grands sont capables d’une telle décision.

 

Je n’aime pas la guerre. Les victimes se trouvent rarement parmi les personnes qui décident d’engager leurs peuples, et sans leur consentement, dans cette spirale infernale. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui nous disent « N’ayons pas peur ». Car, la peur est un sentiment humain, animal, végétal… un stress légitime et utile face à un danger que ressent tout être vivant. « N’ayons pas peur » ? Les familles des victimes, elles, sont terrifiées, anéanties, meurtries… à jamais… à cause de ce conflit généré par ces caricatures. Par des dessins.

 

Dans les arts martiaux, la première leçon que nous dispensons aux débutants (dont les enfants) est la suivante : en cas d’agression, la première des défenses est de prendre la fuite ; de tout essayer pour éviter la bagarre ; de ne chercher à riposter qu’en cas d’absolue nécessité ; et que le cas échéant, cette riposte doit être une défense proportionnée et ne doit chercher qu’à préserver notre intégrité physique et notre vie et non pas à massacrer son agresseur. Le Budoka, le guerrier au sens noble du terme, cherche uniquement à neutraliser son agresseur.

 

Ce sens de la responsabilité aurait dû aussi conduire à éviter une nouvelle publication de ces caricatures. Car nous sommes dans une crise sanitaire, qui est selon vous, sans précédent. Une situation qui, à elle seule, est en train de mettre notre pays à genoux. Et que vous n’aviez vraiment pas besoin de gérer, en plus, ce supplément de malheur qui vient de s’abattre sur la France.

 

Les auteurs de ces caricatures, qui viennent de dénoncer récemment la récupération malveillante de ces dessins par certains partis politiques français, devraient aller jusqu’au bout de leur raisonnement : retirer spontanément ces dessins. Ils gagneraient à le faire. Vraiment.

 

De même, j’estime que l’étude de ces caricatures relèverait plutôt du niveau universitaire. Un débat entre personnes majeures. D’ailleurs, figurez-vous que l’examen que j’étais amené à passer en troisième année de licence de droit, dans le cadre relatif aux régimes des libertés et droits fondamentaux, nous proposait de commenter l’une desdites caricatures. Pour les élèves plus jeunes, je pense qu’il serait prudent de leur enseigner les libertés en commençant d’abord, et avant tout, par les règles de droit et en évitant de les soumettre à des supports aussi sensibles, aussi conflictuels, aussi mortels. D’autant plus que l’enfant mineur est en pleine construction psychique notamment ; et qu’il est pris entre d’une part sa famille et d’autre part son professeur.

 

Notre fierté, notre principe, notre ego devrait-il nous amener à mourir pour un dessin ? Ma réponse est : non ! Une réponse contraire nous conduirait à adopter le même raisonnement et la même attitude que vous reprochez à la partie adverse : quelle différence entre mourir pour un principe religieux et mourir pour le principe de la liberté d’expression ?

 

En France, un autre motif pourrait être convoqué : celui de la théorie de « l’abus de droit ». Bien que nous soyons titulaires de droits subjectifs, l’exercice de ces droits doit se faire sans excès, sans abus. Et cela est valable pour tous et dans tous les domaines. Et, il y a lieu de ne pas mépriser non plus le droit naturel des gens ainsi que la morale.

 

Récemment, à l’unanimité, la cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a estimé que la condamnation pénale, par les juridictions autrichiennes, d’une conférencière (qui avait été invitée par un parti d’extrême droite) pour « dénigrement de doctrine religieuse » ne violait pas son droit à la liberté d’expression. Car ses déclarations, ciblant le Prophète de l’Islam, avaient littéralement outrepassé les limites admissibles d’un débat objectif et que ces déclarations représentaient une véritable menace pour la préservation de la « paix religieuse » dans la société autrichienne (CEDH 25 oct. 2018, E.S. c/ Autriche, n°38450/12). Mais, du fait de l’absence de consensus européen en matière de protection des convictions ou croyances religieuses, la CEDH attribue aux États une large marge d’appréciation. La jurisprudence européenne valorise « le droit au respect des sentiments religieux ».

 

Il y a la lettre de la loi. Mais, il y a aussi l’esprit de la loi.

 

Le même article du journal Le Parisien relève : « Le Royaume du Maroc, à l’instar des autres pays arabes et musulmans, appelle à cesser d’attiser le ressentiment et à faire preuve de discernement et de respect de l’altérité, comme prérequis du vivre-ensemble et du dialogue serein et salutaire des religions ».

 

Je pense que cette invitation devrait susciter votre attention.

 

Dès cet instant, nous pouvons déjà répondre à la question initialement posée : Non, manifestement, les interactions sociales ne nous autorisent pas, plus, à rire, à se moquer, de tout et avec tout le monde. Surtout publiquement.

 

En ce qui concerne les solutions à plus long terme qui requièrent un temps d’analyse plus conséquent, il y a lieu de s’interroger notamment sur l’effectivité des principes inscrits sur les frontons de nos institutions : ceux qui sont notamment gravés dans notre loi fondamentale (la Constitution). Un imminent juriste français a pu affirmer que la France serait plutôt un pays de « Déclaration » des droits de l’Homme ; plus qu’un pays des droits de l’Homme. En l’espèce, concernant la question musulmane, les musulmans pensent qu’ils ont les mêmes droits que leurs concitoyens de confessions chrétienne et juive notamment. Mais, dans la pratique, dans les discours tenus par des responsables politiques notamment, il est régulièrement affirmé que la France est un pays de « tradition chrétienne » voire « judéo-chrétienne ». Personne ne peut contester le fait que la France est une terre à dominance chrétienne, surtout catholique ; mais avec, toutefois, d’autres composantes comme le judaïsme. Mais, l’Islam aussi fait partie de ces composantes. Le législateur a même opéré une véritable mutation de la laïcité, par la loi n°2004-228 du 15 mars 2004, en imposant la neutralité non plus au service public mais à ses usagers, en l’espèce les élèves de l’enseignement primaire et secondaire. Ces élèves ne peuvent plus porter de signes religieux par lesquels ils manifestent « ostensiblement » une appartenance religieuse. Cette transformation s’est poursuivie par la loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010 qui interdit le port de la burqa dans l’espace public. Un professeur de droit écrit dans l’un de ses ouvrages : « Fort heureusement, le Conseil d’État a mis un coup d’arrêt provisoire à cette altération du principe en refusant de valider en son nom les arrêtés municipaux d’interdiction du burkini sur les plages (CE, ord., 26 août 2016, LDH et a.) ». Nous savons tous que ce sont les musulmans qui sont visés par cette législation nouvelle, même si les lois concernées ne peuvent s’aventurer à les cibler expressément et spécifiquement au risque d’encourir la censure du Conseil constitutionnel. Certains appellent même à inscrire la laïcité dans la Constitution ; mais ils n’ont pas dû la lire…

 

Le hiatus réside donc dans ce décalage entre ce qui est consacré par la norme supérieure (ce qui est affiché dans la Constitution) et ce qui est réellement permis aux musulmans de faire dans la vraie vie. Le problème devient encore plus sérieux lorsque l’on constate que le Parlement n’est pas vraiment représentatif de tous les citoyens. Et certains Hommes politiques français s’agitent à la moindre évocation de la constitution d’un nouveau parti politique dont le chef aurait ladite « apparence arabo-musulmane ».

 

Même lorsque les musulmans sont dans leur bon droit, ils se voient constamment attaqués sur leur nourriture, leur façon de s’habiller… à l’école, pour faire du sport… Souvenons-nous de ce qu’a dû subir Décathlon lorsque ce magasin de sport avait récemment proposé une tenue de course adaptée au souhait de certaines femmes musulmanes de pratiquer du sport avec ce qu’elles estiment être conforme à leur foi ; voire tout simplement à leur conception de la pudeur. Quelle différence entre la tenue d’un plongeur et celle du burkini par exemple ? La réaction était d’une telle violence morale que ce magasin s’est trouvé contraint de retirer la tenue proposée. La loi de la République permet pourtant à tout citoyen de rendre visible son appartenance religieuse dans l’espace public.

 

Je pense que, de manière générale, nos concitoyens français de confession musulmane font preuve d’un salutaire sang-froid eu égard aux différentes herses qui les visent régulièrement.

 

Extraordinaire ce qui se passe autour du corps de la femme dans les médias : certains veulent le couvrir entièrement ; d’autres veulent le dénuder totalement. Sans même songer à demander à la femme ce qu’elle veut, elle.

 

Et l’argument selon lequel la religion musulmane conduirait à une rupture d’égalité entre l’homme et la femme est un pur fantasme élaboré par celui qui ignore cette religion et ses codes. Et, il est quand même stupéfiant de voir ceux qui, en France, cautionnent la différence entre les salaires des hommes et des femmes (pour un même travail effectué) venir donner des leçons à des traditions millénaires musulmanes. Citons quelques exemples. Certes, il est vrai que, dans le cadre de l’héritage par exemple, l’Islam consacre une part plus élevée pour l’homme par rapport à celle réservée à la femme ; mais ce que ne disent jamais les détracteurs de l’Islam c’est que cette règle a une justification rationnelle : les besoins de la femme doivent, obligatoirement, être pris en charge par le père, puis par le mari ; et lorsque la femme travaille, et qu’elle perçoit le même salaire que l’homme pour le même travail réalisé, elle n’est nullement obligée de participer aux charges communes du foyer (son argent lui appartient et à elle seule ; ni son père, ni son mari ne peuvent la contraindre à participer aux charges). Nous apercevons là un partage de richesses basé sur l’équité et non pas sur l’égalité. Et puis, le Coran dit que le paradis se trouve sous les pieds des mères (des mamans) : il les place sur un piédestal. Enfin, au Maroc par exemple, la société est fondamentalement matriarcale malgré les apparences. La maman est le pilier de la famille ; et le mari ne prend presque jamais de décision importante sans l’approbation préalable de son épouse. Voyager au Maroc en restant enfermé dans tel ou tel club de loisirs, sans aller au contact prolongé avec la population indigène, sans descendre dans le souterrain, ne permet pas au voyageur de saisir les codes et les parfums de la vie réelle marocaine.

 

La France gagnerait la confiance et l’adhésion de ses concitoyens musulmans lorsqu’elle se décidera à enseigner à ces musulmans l’Histoire du droit français, depuis le droit romain. Cet enseignement révélera à ces musulmans qu’avant eux, les catholiques, les protestants, les juifs… avaient subi ce genre de législation contraignante. Car l’image qui est actuellement envoyée aux musulmans s’apparente plutôt à celle décrite par Gérard CORNU : « un groupe d’individus, généralement fixés à demeure sur le territoire d’un État, qui forme une véritable communauté caractérisée par ses particularités ethniques, linguistiques et religieuses et se trouve en état d’infériorité numérique au sein d’une population majoritaire vis-à-vis de laquelle elle entend préserver son identité ». C’est la définition des « minorités ».

 

L’une des composantes d’un État démocratique réside dans sa capacité à protéger lesdites « minorités », et notamment leurs « sentiments ». Rien ne nous interdit d’innover. Nous pouvons faire en sorte que plus aucun citoyen français ne se sente appartenir à une « minorité ».

 

Je saisis cette occasion pour vous dire que j’ai pu découvrir certaines positions de l’Observatoire de la laïcité qui semble, lui aussi, remis en question depuis le dernier drame. Dans ces positions, j’ai reconnu ce qui est enseigné dans les facultés de droit françaises et ce qui est consacré par la jurisprudence. Je ne comprends donc pas la remise en cause des dirigeants de cette Observatoire. Avec cette jurisprudence actuelle, je pourrais, toutefois, exprimer une petite divergence. En effet, j’estime que toute personne qui participe, même bénévolement, à une mission de service public devrait respecter le principe de neutralité tout en bénéficiant, en retour, de la protection qui est accordée aux agents publics tels que les enseignants. Dans ce cadre, et comme ces enseignants, tous les parents qui se proposent d’accompagner les enfants lors des sorties scolaires devraient accepter de se soumettre à cette neutralité. Il suffit de leur expliquer le principe avec pédagogie et respect ; en évitant de les humilier et de les brutaliser publiquement et devant leurs enfants. En quelque sorte, ces parents empruntent la tenue de l’enseignant (sa fonction d’encadrement, de surveillance) le temps de cette enrichissante et joyeuse promenade avec les enfants. Je crois même avoir lu une décision d’un tribunal administratif qui s’orientait dans ce sens ; mais le Conseil d’État, la haute juridiction administrative, en a décidé autrement.

 

Je pourrais encore continuer à dérouler mon raisonnement. Mais, je crois que ces quelques lignes suffisent pour commencer à apercevoir le nœud de la solution, cette fois, de fond.

 

Certaines voix appellent à la révision de notre rigide Constitution. Je vois là un réel danger. Mettons-nous dans l’hypothèse qui pourrait, par exemple, amener à consacrer « la tradition chrétienne, surtout catholique, de la France » dans la Constitution. Un tel aboutissement ferait basculer la France vers un autre régime. La France ne pourrait plus dire qu’elle est « laïque » mais plutôt « catho-laïque ». De fait, les autres religions ne seraient plus l’égal de la religion dominante catholique ; ce qui d’ailleurs traduirait l’ordre réel et actuel des choses ; ce qui mettrait fin à l’illusion selon laquelle les musulmans, notamment, pourraient prétendre aux mêmes droits que leurs concitoyens catholiques. Ce qui permettrait de sortir, enfin, de l’hypocrisie ambiante. Je vous laisse imaginer la cascade des modifications qui attendrait l’ordre juridique interne et ses prévisibles conflits avec le droit externe : régional (européen) et international.

 

La frontière entre un régime démocratique et un régime autoritaire est mince. La distinction se fonde sur le degré des mesures prises ; plus que sur leur nature.

 

Une autre solution pourrait s’acheminer vers le système éducatif : d’une part, celui de l’école ; d’autre part, celui qui pourrait être mis en œuvre pour informer et instruire toute nouvelle personne qui voudrait rejoindre la communauté nationale. Deux matières me semblent plus particulièrement prioritaires : les cours de français ; et l’histoire du droit français.

 

Au nom de la laïcité, à laquelle je suis profondément attaché, devrait-on priver nos enfants d’un enseignement, ad hoc, d’une culture religieuse au sein de l’école de la République Française ? Nul ne peut contredire le fait que la question des religions constitue un véritable thème des sociétés. Un sujet qui, force est de constater, conditionne les rapports humains. Tous les pays sont concernés. On dénonce régulièrement le risque de « communautarisme ». Dans le même temps, chaque « communauté » se charge de l’enseignement d’une religion donnée. Pourquoi n’enseigner qu’une seule religion ? N’existerait-il pas un continuum entre plusieurs religions ? Quelles sont leurs valeurs communes ? Quelles sont les différences qui les distinguent ? Pourquoi se priver d’une étude comparative, neutre et objective qui permettrait, peut-être, de démontrer que les querelles à ce sujet ne sont pas justifiées ? La laïcité serait-elle synonyme d’homogénéisation des religions ? Dans l’école de la République, on enseigne bien la lecture, l’écriture, l’histoire, la géographie, la connaissance du corps humain, les langues étrangères, les chiffres arabes et romains, la philosophie, etc. Pourquoi ne pas y inclure l’enseignement éclairé des religions, des cultures du monde, selon des modalités à définir ? Nous avons le choix entre la matière et l’antimatière. Entre la consistance et le vide. Entre les explications d’un Maître et les interprétations aléatoires et approximatives. Entre la vérité et les préjugés. Entre la connaissance et l’ignorance. Entre la lumière et l’obscurantisme. Entre le respect et la haine. Entre la paix et la guerre. Entre la cohésion et la division. Pourquoi ces frontières ? Pourquoi ce séparatisme ? L’école de la République participe à la construction du citoyen de demain. Dans cette école, l’enfant pourrait recevoir des informations utiles et sincères qui l’aideraient à forger sa propre opinion. Il pourrait développer son esprit critique. Il pourrait apprendre à « dire non », le cas échéant. Il pourrait ainsi choisir son propre chemin. Il accèderait ainsi à la plus haute dimension de la liberté. En se libérant, le cas échéant, du poids, des chaines des traditions. En faisant évoluer, avec douceur et pacifiquement, lesdites traditions.

 

« C’est par la vérité qu’on apprend à connaître les hommes, et non par les hommes qu’on connaît la vérité. » (Émir Abdelkader)

 

Enfin, en France, avec ou sans leurs signes religieux visibles, les musulmans semblent être bien accueillis dans notamment les écoles, collèges et lycées catholiques… La preuve.

 

Concernant ces mêmes caricatures, un ancien Président de la République Française a pu déclarer : « Tout ce qui peut blesser les convictions d’autrui, en particulier les convictions religieuses, doit être évité. La liberté d’expression doit s’exercer dans un esprit de responsabilité. Je condamne toutes les provocations manifestes, susceptibles d’attiser dangereusement les passions. » (Jacques Chirac, 2006).

 

Je pense que le Général Charles De Gaulle, Charles le Catholique, m’aurait compris.

 

À tort ou raison, sous toutes réserves, sous réserve de pouvoir parfaire cette réflexion, voilà donc ce que j’aurais pu vous dire, Monsieur le Président, si j’étais l’un de vos Conseillers.

 

Mais, je ne le suis point. Et, le monde politique ne m’attire absolument pas.

 

 

 

 

 

 

 

Bon courage en ces moments, pour le moins, éprouvants.

 

Avec mon profond respect.

 

 

Amine UMLIL

Citoyen français

 

 

 

 

 

 

 

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