Votre pharmacien : un "feu rouge" sanitaire, un acteur d'efficience

Le « pharmakos » désignait dans la Grèce antique ce malheureux, ce bouc-émissaire, destiné à être « sacrifié aux dieux » en cas de calamité. Pour comprendre la finalité du métier du pharmacien que j’ai choisi par conviction, il semble nécessaire d’expliquer, préalablement et de façon sommaire, ce qu’est un médicament. Ce dernier est un produit à deux facettes : le bénéfice et le risque. Deux facettes inséparables. C’est comme « pile » et « face ». On parle de « rapport bénéfice / risque ». Cette ambivalence avait déjà été soulignée par nos ancêtres. Elle nous invite au bon usage du médicament.
De façon imagée, un médicament pourrait être comparé à une voiture. L’accident peut se produire à cause d’un chauffard et/ou parce que la voiture, elle-même, est incorrectement réglée et insuffisamment contrôlée avant sa mise en circulation et/ou pendant son utilisation. Son contrôle technique est d’ailleurs exigé de façon périodique. De façon comparable, le médicament peut causer un dommage soit parce qu’il fait l’objet d’un mésusage (mauvaise utilisation) comme dans le cas des « accidents médicamenteux évitables » soit, parce qu’il est mal évalué et insuffisamment contrôlé avant sa mise sur le marché et/ou pendant son utilisation.
Ce n’est donc pas, par hasard, que le Code de la santé publique impose au pharmacien d’analyser l’ordonnance prescrite par un médecin. Une ordonnance qui doit comporter l’intégralité du traitement, l’ensemble des produits, pris par un patient. Ladite ordonnance est faite pour être analysée. Elle ne peut être réduite à un simple outil de facturation. Cette analyse pharmaceutique comporte deux étapes essentielles. D’abord une analyse règlementaire : date de l’ordonnance, identification du patient, coordonnées et signature du prescripteur, …etc. Ensuite une analyse pharmacologique : intercepter d’éventuelles interactions (incompatibilités) entre les médicaments, des contre-indications, des doses inadéquates (dose potentiellement toxique ou inefficace), …etc. Bref, le « pharmacien-clinicien », à ne pas confondre avec un « grossiste-répartiteur », contrôle l’adéquation des produits prescrits avec le patient traité. Il peut être amené à adresser un avis pharmaceutique au prescripteur s’il constate une anomalie. Il joue ainsi un rôle de « barrage de contrôle » pour que le bon médicament, au bon dosage, sous la bonne forme, arrive au bon moment et, au bon patient.
Quel que soit son lieu d’exercice : hôpital public, structure privée, officine (en ville), …etc., le pharmacien régule la circulation du médicament. Il est au contact du patient. Mon métier est une profession règlementée. Le pharmacien participe à la protection du public contre les éventuels risques médicamenteux. De la même manière que le feu rouge nous protège contre les éventuels risques de la circulation routière.
Son rôle est vital. Ses actes sont tracés. Il est un des principaux acteurs du circuit du médicament. Ce dernier est en réalité un double circuit : un circuit logistique (acheminement physique du produit) interconnecté à un circuit d’informations (communication entre les différents professionnels de santé notamment). Code du circuit du médicament ; code de la route ; une affaire de conduites individuelles et collectives. Le circuit du médicament est matérialisé par ces actes successifs réalisés, notamment et dans l’ordre, par le médecin puis, le pharmacien puis, le préparateur en pharmacie puis, l’infirmier. Autant d’acteurs, autant d’interfaces, autant d’erreurs potentielles qu’il est nécessaire d’intercepter. A temps.
Les interventions efficaces du pharmacien doivent être considérées comme une « barrière de sécurité » qui protège non seulement, et avant tout, le patient mais également, le prescripteur, l’établissement de santé public comme privé, et la collectivité. En effet, l’absence d’intervention, la « pharmaco-somnolence », pourrait générer des conséquences graves pour le patient ; nuisibles pour le médecin, l’établissement et la collectivité : effets indésirables, hospitalisations ou prolongations d’hospitalisation, arrêts de travail, consommation d’antidotes, traitements symptomatiques, séjours en réanimation, séquelles, décès, risques juridiques, atteintes à l’image des institutions investies d’une mission de santé publique, … etc. Il ne nous est pas difficile d’imaginer, non plus, les dépenses évitées par ce « simple » avis pharmaceutique.
Sur la route, imaginons un carrefour verglacé, très fréquenté et à grande vitesse, qui n’aurait ni feu rouge, ni stop, …, ni route de bonne qualité, … etc. On se dirigerait, vraisemblablement, vers l’inévitable accident. Imaginons un « feu rouge, orange, vert » qui ne serait pas constamment opérationnel de façon effective. Le « poteau » est planté, il est bien visible et entretenu à nos frais mais, ne « clignote pas » ou, « ne clignote plus » ou, « clignote par moment » ou, « n’a jamais clignoté » ou, « n’a jamais voulu clignoter » ou, « n’a jamais pris conscience qu’il peut clignoter » ou, « a pris tardivement conscience qu’il peut clignoter » ou encore, « clignote à contre-sens » et, demeure donc finalement invisible, en réalité.
Du devoir d’alerte !
Selon mon expérience, je peux affirmer que mes consœurs et confrères prescripteurs accueillent ces avis pharmaceutiques pertinents avec satisfaction. « Bonsoir, merci de ton information, je m’empresse de modifier la prescription. A bientôt. » M’écrivait un médecin.
Prescrire le médicament le mieux évalué. Analyser l’ordonnance selon l’art. Intercepter une erreur. Sauver une vie. Réduire les coûts. Il s’agit d’un véritable exemple d’efficience avec ses trois déterminants : Qualité, Sécurité, Coût. L’apothicaire est donc capable d’injecter une réelle valeur ajoutée, d’abord « clinique », au service de tout patient potentiel. Schématiquement, un « euro » de bonnes pratiques professionnelles génèrerait « cinq euros » d’économie pour la collectivité. Encore faudrait-il accepter d’investir « un euro » pour pouvoir en récupérer « cinq » …
C’est le métier premier du pharmacien. D’autant plus que les victimes du circuit du médicament seraient plus nombreuses que celles des accidents de la route. D’autant plus que les « caisses de l’Etat » seraient « vides » …
De l’évaluation rigoureuse … De la pharmacovigilance … De la formation continue … De la dépense à bon escient … De l’information indépendante …
A l’ère des incidents sanitaires et des déficits, on ne peut éternellement continuer de dénoncer comme seuls responsables les laboratoires pharmaceutiques, les institutions chargées des missions de santé publique, l’Etat, …etc. Il appartient à chacun de nous, praticien de terrain, citoyen, de contribuer activement à la sécurité de tout patient potentiel. A la préservation de notre système de soins.