Monsieur Gilles BOURDOULEIX,
Maire de Cholet,
Si
l’on croit ce qui est diffusé depuis hier (vendredi 24 avril 2020) par
plusieurs médias et réseaux sociaux (dont votre page Facebook et votre compte
Twitter), le tribunal administratif de Nantes
a, lors d’une procédure en référé-liberté introduite par la ligue des
droits de l’Homme (LDH), suspendu
l’arrêté qui avait instauré un couvre-feu à Cholet entre 21h et 5h.
Cette
décision a déclenché une réaction de
votre part. Certains de vos propos, publiquement exprimés, interpellent.
J’ai donc l’honneur de vous écrire ces quelques lignes pour vous soumettre une analyse de cette situation et de
vos affirmations. À tort ou à raison.
À
titre liminaire, puisque vous abordez l’affaire durant laquelle vous aviez été
accusé de faire de l’« apologie de crime contre
l’humanité », j’aimerais vous rappeler que j’étais l’une des rares
personnes à rejeter, publiquement et par écrit, cette qualification juridique,
tout en condamnant fermement vos propos tenus. J’avais même répondu à certains
de vos opposants politiques qui faisaient état de votre condamnation par les
juges du fond alors même qu’un pourvoi en cassation était en cours, et que
ladite décision des premiers juges n’était pas encore investie de l’autorité de
la chose jugée (n’était pas définitive). Ma réaction ne semblait d’ailleurs pas
vous déplaire.
Le
respect commence par l’expression
d’un parler vrai, et par un regard vers le paysage de l’autre. Et c’est dans ce
cadre que je me permets de vous soumettre quelques arguments qui, je l’espère, pourraient vous amener à reconsidérer votre position exprimée
suite à ladite décision du juge administratif.
Vous
écrivez : « (…) Les décisions d’une collectivité ne sont pas prises par une
association politisée, aux convictions totalitaristes, ni par des juges mais
par des personnes élues au suffrage universel, engagées pour protéger leurs
concitoyens ». Une telle déclaration laisserait entendre que le
seul suffrage universel conférerait audites personnes élues un pouvoir absolu. Voudriez-vous voir les arrêtés municipaux
échapper à tout contrôle de légalité ?
Vous
écrivez : « Je déplore la décision du Tribunal Administratif de
Nantes ». Et quelques lignes plus loin, vous nous informez : « J’ai
donc décidé de prendre un nouvel arrêté de 22h à 5h ». Vous mettez
ainsi au grand jour l’une des arguties juridiques que le droit administratif
autorise : un privilège de juridiction réservé à l’Administration
française. Un tour de passe-passe, légal, qui permet d’ignorer la décision
rendue par le juge. Mais, dans mon esprit, et dans celui de beaucoup de nos
concitoyens, l’illégalité entachant votre premier arrêté jaillit,
inévitablement, sur votre « nouvel
arrêté », fusse-t-il décalé d’une heure (de 22h à 5h).
Vous
allez même jusqu’à déclarer : « (…) des magistrats qui sont dans leur
petit confort à Nantes (…) ».
Dans
le même temps, vous reprochez au Président de la République, Monsieur Emmanuel MACRON, de ne pas respecter
la « loi de 1882 de Jules FERRY, qui
rend l’école obligatoire ».
Comment donc voudriez-vous voir
nos concitoyens respecter vos arrêtés, alors même que vous semblez passer outre
la décision du juge ?
Ce
constat est d’autant plus inquiétant que ces écrits et déclarations émanent du premier magistrat de la ville, et avocat. Il donne le sentiment qu’à
Cholet, une décision de justice ne serait plus de saison.
Or,
« il faut que, par la disposition
des choses, le pouvoir arrête le pouvoir »
(De l’Esprit des lois, MONTESQUIEU,
1748). Et « toute société dans
laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de
Constitution » (Article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen (DDHC) du 26 août 1789). C’est justement le degré de cette
séparation des pouvoirs qui détermine la nature des régimes : démocratiques ou autoritaires, notamment.
Non,
Monsieur le maire : le seul suffrage universel ne nous propulse pas vers
l’époque de la monarchie absolue ; et ne transforme pas des citoyens en
sujets.
Vous
déclarez : « (…) Et quand on voit le délibéré du tribunal administratif, on
nous parle de la liberté d’aller et venir qui n’est pas respectée, on nous
parle de grands principes qui ne sont pas respectés. Non, il n’y a qu’un
principe là-dedans, c’est un maire, une équipe municipale qui ont voulu
défendre la santé de leurs concitoyens ». Or, ladite liberté
d’aller et venir est une liberté fondamentale garantie par la
Constitution qui est hors de la portée d’un maire et de son équipe municipale.
Si
vous estimez que cette décision du tribunal administratif est infondée,
pourquoi ne pas la contester jusqu’auprès de la plus haute juridiction
administrative : auprès du Conseil
d’État ?
Et
puis, à titre subsidiaire, infiniment accessoire, j’aimerais comprendre le sens
de vos autres déclarations qui combinent des mots tels que « les minorités »,
« les
étrangers »… D’abord, vous semblez reprocher à la LDH de défendre « toutes
les minorités (…) tous les étrangers (…) », d’être « anti-Français,
anti-Nation » et de n’avoir « qu’un objectif : c’est de
détruire toutes les valeurs qui sont les nôtres, il faut être très clair
(…) ». Ce parallélisme, à peine voilé, entre d’un côté « les
minorités », « les étrangers » défendus par la LDH ; et de
l’autre côté le caractère « anti-Français,
anti-Nation » et le seul « objectif [visant à] détruire toutes les valeurs qui sont les nôtres » pourrait, de
façon consciente ou non, suggérer des idées, pour le moins nauséabondes, chez
les faibles d’esprit, chez vos flatteurs.
Et
ensuite, vous posez une question qui interroge sur la raison qui aurait conduit
la LDH à solliciter « en urgence », et « cette semaine »,
le contrôle du juge administratif. Vous prétendez connaître cette raison mais
vous vous abstenez, pour l’instant, de la dévoiler auprès des choletais : « (…)
Je ne crois pas au hasard, je sais pourquoi ça été fait cette semaine et le
moment venu je le dirais (…) ». Sommes-nous invités à deviner
cette raison ? Sur votre page Facebook, le commentaire suivant a été
posté : « Le ramadan, c’est quand déjà ? ». Est-ce la
raison que vous insinuez, avec insistance ? Il est vrai que « les
musulmans » semblent manquer à ce tableau que vous décrivez.
Quel
est le rapport entre ce couvre-feu et
ces « minorités »,
« étrangers »… ?
Sur
ce point concernant notamment les « minorités »,
je ne peux que vous renvoyer à ma lettre ouverte que je vous ai adressée en
2012 suite à vos propos, de même nature, qui ont été relayés dans le
journal « l’Express ». Un extrait de ma réaction avait d’ailleurs
été publié par le « Courrier de l’Ouest » le 23 janvier 2012 sous le
titre : « Courrier des lecteurs. La lettre ouverte au maire d’un
pharmacien de l’hôpital ».
Une
autre composante d’un État démocratique
réside dans sa capacité à protéger
lesdites « minorités » que vous semblez bien distinguer des « étrangers ». Ces minorités sont donc bien des Français.
Mais, il est, encore, rappelé à ces français qu’ils sont un « groupe d’individus, généralement
fixés à demeure sur le territoire d’un État, qui forme une véritable communauté
caractérisée par ses particularités ethniques, linguistiques et religieuses et
se trouve en état d’infériorité numérique au sein d’une population majoritaire
vis-à-vis de laquelle elle entend préserver son identité » (Gérard CORNU).
L’emploi de ce terme n’est donc pas anodin, surtout par un élu qui ne « croit pas au hasard ».
Vous
semblez reprocher à la LDH de protéger ces personnes vulnérables en utilisant « nos
impôts ». Par contre, et par exemple, vous n’avez pas hésité à
demander, et à obtenir, la « protection fonctionnelle »
pour couvrir les frais de divers procès dont ceux concernant des litiges en
rapport avec certaines de vos déclarations, pour le moins, inappropriées. Mais,
c’est votre droit. Puisque cette protection fonctionnelle a même été accordée à
Monsieur PAPON. Par contre, cette protection fonctionnelle m’a été refusée dans le cadre du contentieux professionnel qui
m’avait opposé notamment à l’ancienne direction du centre hospitalier de Cholet
suite à mon alerte adressée au
Procureur Général…comme vous le savez ; un hôpital dont vous étiez le
président du conseil d’administration, puis du conseil de surveillance (vous l’êtes
toujours). En ma qualité de pharmacien des hôpitaux, praticien hospitalier, et surtout en ma qualité de citoyen français, je
n’ai vu personne venir me défendre : ni
vous, ni la LDH, ni aucun autre parti politique, notamment... Pourtant, mon alerte concernait un
domaine qui génère environ 20 000
morts par an, dont la moitié est évitable. Mon aventure à l’intérieur du
système m’a montré notamment le vrai visage de la politique et le but poursuivi
par le carnaval électoral.
En France, c’est dans cette ville,
c’est dans son hôpital public, que j’ai découvert ce qui peut
être qualifié de gouvernance totalitaire.
Les preuves, vérifiables sur pièces, sont disponibles dans mes anciennes
écritures.
Il
y a donc lieu de s’interroger sur l’équilibre
entre notre sécurité et le respect de nos libertés fondamentales. Cette
conciliation ne peut être laissée entre les seules mains d’une personne élue au
suffrage universel. L’Histoire montre que ce mode d’élection a pu instaurer le
pire des régimes.
Le
nouveau Coronavirus (SARS-CoV-2), à l’origine de cette nouvelle maladie (COVID-19)
jusqu’alors inconnue, ne saurait devenir un prétexte justifiant une atteinte grave et disproportionnée à nos libertés fondamentales.
La présidente de la région des Pays-de-la Loire, elle, semble demander plutôt un « dé-confinement accéléré »
dans notre région.
En
votre qualité d’homme de droit, vous devriez donc donner l’exemple en
commençant d’abord par respecter la
décision du juge ; et en évitant de mettre, à nouveau, à l’index une
partie des choletais via des
critiques adressées à la LDH. Dans le cas contraire, même les personnes, dotées
encore d’un minimum de bon sens et de raison, qui voudraient soutenir vos
décisions pourraient prendre leur distance.
Je
vous remercie de bien vouloir accepter cette réflexion que je me permets
de vous apporter, sans animosité.
En
espérant que ces quelques lignes réussiront à vous convaincre, je vous prie de
bien vouloir recevoir, Monsieur le maire, l’expression de mes respectueuses
salutations.
Bien
cordialement,
Amine
UMLIL